dimanche 28 février 2010

PICABIA : DEUX MANIFESTES DADA DU PRINTEMPS 1920 À PARIS





Manifeste DADA

Les cubistes veulent couvrir Dada de neige : ça vous étonne mais c'est ainsi, ils veulent vider la neige de leur pipe pour recouvrir Dada.
Tu en es sûr ?
Parfaitement, les faits sont révélés par des bouches grotesques.
Ils pensent que Dada peut les empêcher de pratiquer ce commerce odieux :
Vendre de l'art très cher.
L'art vaut plus cher que le saucisson, plus cher que les femmes, plus cher que tout.
L'art est visible comme Dieu ! (voir Saint-Sulpice).
L'art est un produit parmaceutique pour imbéciles.
Les tables tournent grâce à l'esprit ; les tableaux et autres œuvres d'art sont comme les tables coffres-forts, l'esprit est dedans et devient de plus en plus génial suivant les prix de salles de ventes
Comédie, comédie, comédie, comédie, comédie, mes chers amis.
Les marchands n'aiment pas la peinture, ils connaissent le mystère de l'esprit...........
Achetez les reproductions des autographes.
Ne soyez donc pas snobs, vous ne serez pas moins intelligents parce que le voisin possèdera une chose semblable à la vôtre.
Plus de chiures de mouches sur les murs.
Il y en aura tout de même, c'est évident, mais un peu moins.
DADA bien certainement va être de plus en plus détesté, son coupe-file lui permettant de couper les processions en chantant « Viens Poupoule », quel sacrilège !!!
Le cubisme représente la disette des idées.
Ils ont cubé les tableaux des primitifs, et les sculptures nègres, cubé les violons, cubé les guitares, cubé les journaux illustrés, cubé la merde et les profils de jeunes filles, maintenant il faut cuber l'argent !!!
DADa, lui, ne veut rien, rien, rien, il fait quelque chose pour qu le public dise : « nous ne comprenons rien, rien, rien ».
« Les Dadaïstes ne sont rien, rien, rien, bien certainement ils n'arriveront à rien, rien, rien ».
Francis PICABIA qui ne sait rien, rien, rien.

Francis PICABIA, Manifeste DADA, lu au Salon des Independants, Grand-Palais des Champs Elysées, 5 février 1920



Manifeste CANNIBALE DADA

Tous êtes accusés ; levez-vous. L'orateur ne peut vous parler que si vous êtes debout.
Debout comme pour la Marseillaise,
debout comme pour l'hymne russe,
debout comme pour le God save the King,
debout comme devant le drapeau
Enfin debout devant DADA qui représente la vie et qui vous accusede tout aimer par snobisme du moment que cela coûte cher
Vous vous êtes tous rassis ? Tant mieux, comme cela vous allez m'écouteravec plus d'attention.
Que faites-vous ici, parqués comme des huîtres sérieuses - car vous êtes sérieux, n'est-ce pas ?Sérieux, sérieux, sérieux jusqu'à la mort.
La mort est une chose sérieuse, hein ?
On meurt en héros ou en idiot, ce qui est la même chose.
Le seul mot qui ne soit pas éphémère c'est le mot mort. Vous aimez la mort pour les autres.
A mort, à mort, à mort.
Il n'y a que l'argent qui ne meure pas, il part seulement en voyage.
C'est le Dieu, celui qu'on respecte, le personnage sérieux - argent respect des familles. Honneur, honneur de l'argent ; l'homme qui a de l'argent est un homme honorable.
L'honneur s'achète et se vend comme le oui. Le cul, le cul représente la vie représente la vie comme les pommes frites, et vous tous qui êtes sérieux, vous sentirez plus mauvais que la merde de vache.
DADA lui ne sent rien, il n'est rien, rien, rien.
Il est comme vos espoirs : rien
comme vos paradis : rien
comme vos idoles : rien
comme vos hommes politiques : rien
comme vos héros : rien
comme vos artistes : rien
comme vos religions : rien
Sifflez, criez, cassez-moi la gueule et puis et puis ? Je vous dirai encore que vous êtes tous des poires. Dans trois mois, nous vous vendrons, mes amis et moi, nos tableaux pour quelques francs.

Francis PICABIA. Manifeste CANNIBALE DADA

lu par André BRETON à la Troisième Soirée Dada au Théâtre de la Maison de l'Oeuvre, Paris, le 27 mars 1920.

Publié dans Dada n°7 - DADAphone , Paris, mars 1920

dans Der Dada, numéro 3, Berlin, avril 1920

& dans l'Almanach Dada, Berlin, juin 1920

MARCEL DUCHAMP (II)


Marcel DUCHAMP. Moulin à café, 1911, huile sur carton, 33 X 12,5,
 Londres, Modern Tate

Mon frère avait une cuisine dans sa petite maison de Puteaux et il a eu l'idée de la décorer avec des tableaux des copains. Il a demandé à Gleizes, Metzinger, La Fresnaye, Léger aussi je crois, de lui faire des petits tableaux de la même dimension, comme une sorte de frise. Il s'est également adressé à moi et j'ai exécuté un moulin à café que j'ai fait éclater; la poudre tombe à côté, les engrenages sont en haut et la poignée est vue simultanément à plusieurs points de son circuit avec une flèche pour indiquer le mouvement. Sans le savoir, j'avais ouvert une fenêtre sur quelque chose d'autre. Cette flèche était une innovation qui me plaisait beaucoup, le côté diagrammatique était intéressant du point de vue esthétique.

Marcel DUCHAMP. Entretiens

Marcel DUCHAMP. Broyeuse de chocolat, numéro 1, 1913

Marcel DUCHAMP. Broyeuse de chocolat numéro 2, 1914. 65 x 54,
Philadelphie, The Philadelphia Museum of Art

Marcel DUCHAMP. Réseaux des stoppages étalon, Paris, 1914, 148.9 X 197.7,
New York, The Museum of Modern Art



Edgar FIRN (Karl DOEHMAN-DAIMONIDES). Bibergeil Pedantische Liebeslieder, illustration de George GROSZ, Berlin, 1919

Max ERNST. Aquis submersus.1919


Max ERNST. Aquis submersus. 1919. 54 X 43.8,
Francfort, Städelsches Kunstinstitut und Städtische Galerie

Theodor Storm. Aquis submersus, 1877


Max Ernst
Aquis Submersus, 1919

Aquis submersus means “submerged in water” and is the title of a novella by Theodor Storm relating the tragic events of a forbidden love affair and the death of the child born of it. When Max Ernst worked on this small canvas, he was at the threshold to surrealist art. Here he was reacting specifically to the unreal, magic worlds in the “pittura metafisica” of the Italian painter Giorgio de Chirico. Among the features Ernst adopted from them were the strong central perspective with the overly accentuated vanishing lines, the formation of space by means of simplified architectural constructs, the distinct shadows, and the clock at the upper edge of the canvas. The motionlessness of the objects and beings should have a stabilising effect, but is in fact disquieting. One surreal aspect of the work is its rejection of stringent logic. Take the clock, for example: it is hanging on the sky – or is it a wall? What is more, in the murky water it is reflected as the moon. Spatial questions are answered no more satisfactorily than questions as to the meanings of the pictorial elements, many of which convey a certain sense of humour.

© VG Bild-Kunst

DADA-COLOGNE


Johannes BAAEGELD & Max ERNST (éd.). Die Schammade. Dilettanten erhebt euch !, Cologne, Schloemilch Verlag, numéro 1 (unique), avril 1920, 32,4 X 25,


Max ERNST. Dada siegt ! Wiedereröffnung der polizeilich geschlossenen Ausstellung...
(Dada triomphe ! Réouverture de l'exposition fermée par la police...),
Affiche pour l'exposition Dada-Vorfröhling, 42,4 X 62,9, Cologne, Brauhaus Winter, mai 1920

JOHANNES THEODOR BAARGELD

Johannes Theodor BAARGELD (Alfred Emanuel Ferdinand GREUNWALD, 1892-1927). Photo: NRhZ-Archiv
Johannes Theodor BAARGELD. Typische Vertikalklitterung als Darstellung des Dada Baargeld(Typical Vertical Mess as Depiction of the Dada Baargeld - Typique amalgame vertical en tant que représentation du Dada Baargeld), 1920

Johannes Theodor BAARGELD. Sans Titre, Encre d'Inde, 31 X 21, 1920

Johannes Theodor BAARGELD . The Red King, 1920. Encre sur papier peint, 49.2 X 38.7, New York, The Museum of Modern Art


Johannes Theodor BAARGELD. Sans titre (Beetles - Cafards), 1920.
Encre et crayon sur tissu, 29.2 X 23.2, New York, The Museum of Modern Art

Johannes Theodor BAARGELD. Das menschliche Auge und ein Fisch, letzterer versteinert (The Human Eye and a Fish, The Latter Petrified - L'Œil humain avec un poisson : ce dernier en forme de fossile), 1920, Collage, encre et crayon sur papier, 31.1 X 23.8,
New York, The Museum of Modern Art

Plus connu sous le nom de Baargeld (argent comptant), Alfred Grünewald a été l'un des personnages les plus déroutants du dadaïsme de Cologne. Fils d'un banquier, il avait été l'un des fondateurs du Parti communiste de Rhénanie. Personnage excentrique, il avait quitté Oxford pour s'adonner vers 1918 aux activités dada. Avec Arp et Ernst il a animé le petit groupe dadaïste de Cologne dont l'activité était inlassable et qui s'opposait à la politisation radicale prônée par les dadaïstes de Berlin ; il recherchait un compromis entre la praxis politique et la destruction des valeurs esthétiques. Il exigeait, en effet, une révolution sociale accompagnée d'une révolution culturelle permettant de dépasser la vieille antinomie art-vie. Baargeld, dont il ne nous reste que très peu de travaux (L'Œil humain avec un poisson : ce dernier en forme de fossile, collage, 1920, Museum of Modern Art, New York ; Autoportrait, photomontage, 1920 ; Anthropofiler Bandwurm, 1920, assemblage de matériaux divers), affichait une attitude profondément nihiliste. Il ne voyait de salut que dans la révolution et, tout en œuvrant pour elle, il entendait faire table rase de toute trace d'activité artistique. Au sein du groupe dadaïste, il se consacre à la propagande politique (tracts, revues, interventions) et ne recule pas devant le scandale artistique. Toutefois, son opposition à l'art s'est incarnée dans des objets relevant de l'anti-art. Nombre de ses productions font partie d'œuvres collectives et anonymes visant à discréditer le mythe vétuste de l'artiste créateur. Elles ont été appelées Fatagaga (fabrication de tableaux garantis gazométriques). Cette démarche préfigure les« cadavres exquis » surréalistes.
Baargeld mourut au cours d'une excursion en montagne.

Charles SALA. « J. T. BAARGELD», Encyclopaedia Universalis

samedi 27 février 2010

TZARA : QUELQUES PRÉSIDENTS ET PRÉSIDENTES (DU MOUVEMENT DADA ; AVEC MENTION DES OMISSIONS À CETTE DATE (FÉVRIER 1920))



Tristan TZARA. « QUELQUES PRÉSIDENTS ET PRÉSIDENTES » :


Dr AISEN



Louis ARAGON



Alexandre ARCHIPENKO



W.-C. ARENSBERG



Maria D'AREZZO



Céline ARNAULD



ARP



Cansino d'ASSENS



Alice BAILLY



Pierre-Albert BIROT



André BRETON



Geoerges BUCHET



Gabrierlle BUFFET



Margueritte BUFFET



Gino CANTARELI



CAREFOOT



Maja CHRUSECZ



Arthur CRAVAN



CROTTI



DALMAU
Paul DERMÉE



Mabel DODGE



Marcel DUCHAMP



Suzanne DUCHAMP



Jeacques EDWARDS



Carl EINSTEIN



Paul ÉLUARD



Max ERNST,



Germaine EVERLING



J. EVOLA



O. FLAKE



Théodore FRAENKEL



Augusto GIACOMETTI



George GROSZ



Augusto GUALLART



HAPGOOD



Raoul HAUSMANN



F. HARDEKOPF



W. HEARTFIELD



HILSUM



R. HUELSENBECK



Vincente HUIDOBRO



F. JUNG



J.-M. JUNAY



Mina LLOYD



LLOYD



MARIN



Walter MEHRING



Francesco MERIANO



Miss NORTON



Edith OLIVIÉ



Walter PACK



Clément PANSAERS



PHARAMOUSSE



Francis PICABIA



Katherine N. RHOADES



Georges RIBEMONT-DESSAIGNES



H. RICHTER



SARDAR



Cristian SCHAD



SCHWITTERS



Arthur SEGAL



Dr. V. SERNER



Philippe SOUPAULT



Alfred STIEGLITZ



Igor STRAVINSKI



Sophie TAEUBER



Tristan TZARA



Guillermo de TORRE



Alfred VAGIS



Edgar VARÈSE



Lasso de la VEGA



Georges VERLY



A. WOLKOWITZ



Mary WIGMAN







____________________


LES OMISSIONS DE TZARA, À CETTE DATE - FÉVRIER 1920 - :




De DADA-ZURICH :



Hugo BALL



Han CORRAY



Viking EGGELING



Friedich GLAUSER



Walter HELBIG



Emmy HENNINGS



Hans HEUSSER



Georges JANCO



Jules JANCO



Marcel JANCO



Oskar Wilhelm LUTHY



MOPP (Max OPPENHEIMER)



Marcel SLODKI



Johann Wilhelm von TSCHARNER



Hilla REBAY



Adya VAN REES



Otto VAN REES



Jakob VAN HODDIS




De DADA-BERLIN :



Hans BAUMANN



DAIMONIDES (Carl DOEHMANN)



Jefim GOLYSCHEFF



Wieland HERZFELDE



Hannah HÖCH



MYNONA (Salomo FRIEDLÄNDER)



Eva PETER-GROSZ



Gerhard PREISZ



Rudolf SCHLICHTER



Otto SCHMALHAUSSEN (DADA-OZ)




De DADA-ITALIE :



N. GALANTE



Francesco MERIANO



Enrico PRAMPOLINI



Alberto SPAINI





De DADA-COLOGNE :



Johannes Theodor BAARGELD






De DADA-AMSTERDAM :



Jan BLOOMFIELD



Paul CITROËN






De Pré-DADA NEW YORK :



Marius DE ZAYAS



Agnes ERNST MAYER



Max GOTH (Maximilien GAUTIER)



Paul HAVILAND



Adon LACROIX



MAN RAY



Juliettre ROCHE



Henri-Pierre ROCHÉ



Morton Livingstone SCHAMBERG



Charles SHEELER



Clara TICE



Beatrice WOOD




De Pré-DADA PARIS :



Pierre REVERDY



Jacques VACHÉ

MAN RAY (I)

MAN RAY. The Rope Dancer Accompanies Herself with Her Shadows, 1916. New York, The Museum of Modern Art



MAN RAY. Marcel Duchamp with Water Mill Within Glider, 1917










Pionnier, avec Marcel Duchamp et Picabia, du mouvement le plus radical de l'art moderne qui, de Dada au surréalisme, traverse jusqu'à notre époque tout le champ des arts visuels, Man Ray a largement contribué, par son œuvre polymorphe : tableaux, objets, assemblages, photographies et films, à élargir l'horizon et la conscience des peintres. De son nom Emmanuel Rudnitsky, dont il a tiré les deux syllabes solaires de son célèbre pseudonyme, il avait découvert Cézanne, les masques africains et Brancusi dès 1911, à la galerie d'Alfred Stieglitz à New York, avant de voir les œuvres de Duchamp et de Picabia à l'Armory Show de 1913, et de rencontrer Duchamp en personne en 1915, puis Picabia. Mais c'est à travers Adon Lacroix, une femme singulière, poète, admiratrice de Rimbaud, Lautréamont et Apollinaire, que Man Ray a pris la mesure poétique de la révolution de l'art moderne. Il avait passé sa jeunesse à Brooklyn, et fréquenté le « Ferrer Center », qui fonctionnait à New York selon les principes de l'éducateur anarchiste catalan Francisco Ferrer Guardia (« tout y était gratuit [les cours de dessin, d'aquarelle], même l'amour »). Formation anarchiste déterminante, puisqu'elle le libéra très tôt du respect des valeurs établies, désacralisa à ses yeux les techniques d'expression traditionnelles et l'encouragea à ne suivre que sa propre nécessité individuelle dans toutes ses innovations. Refusant toute hiérarchie entre la peinture et la photographie, il considérait la caméra et le pinceau comme des instruments équivalents à ce qu'est la machine à écrire pour un écrivain. Aussi a-t-il apporté la même marque d'originalité à son œuvre de photographe et de cinéaste qu'à son œuvre de peintre ou d'assembleur d'objets. Il a raconté les circonstances de son aventure dans un livre : Autoportrait, qui, s'il ne suffit pas à tout saisir d'un homme difficile à cerner, éclaire sa personnalité et son œuvre à la lumière d'un humour paradoxal, mélange de sérieux et d'indépendance sereine à l'égard de tout jugement.

Avant de débarquer à Paris le 14 juillet 1921, Man Ray avait déjà accompli aux États-Unis des œuvres décisives, sans précédent dans son pays. Sa formation de dessinateur industriel, qui le prédisposait à devenir ingénieur ou architecte, l'incitait, en tant que peintre, à utiliser des outils de précision : la composition et le dessin de son tableau, La Danseuse de corde s'accompagnant de ses ombres, de 1916, ont été préparés à l'aide de papiers découpés. Contrairement aux futuristes, Man Ray y évoque le mouvement avec la froideur d'un géomètre, et les aplats de couleur y devancent non seulement les papiers découpés de Matisse, mais l'abstraction géométrique. Transmutation, un collage réalisé la même année que la naissance de Dada à Zurich (1916), bafoue l'esthétique des papiers collés cubistes en utilisant comme fond la page entière d'un journal, sur laquelle sont peintes des lettres, des chiffres disposés au hasard autour du mot « Theatr ». Comme Duchamp, Man Ray n'avait pas attendu l'irruption de Dada en Europe pour détourner les formes mêmes des avant-gardes reconnues de l'époque ; la petite revue The Ridgefield Gazook no 0 (31 mars 1915), qu'il a publiée dans la communauté anarcho-artistique de Ridgefield où il vivait alors avec Adon Lacroix, devance même les publications dada. En 1917, en enserrant des planchettes de bois dans un étau et en les intitulant New York, il transforme le « ready-made » duchampien en sculpture ; le tirage qui en a été fait en bronze un demi-siècle plus tard a magnifié ses qualités plastiques, de même que celui de deux objets de 1918 : By itself I et II, dont le caractère énigmatique n'a fait que s'accentuer avec le temps. Avec son Self-portrait de 1916, où deux sonnettes électriques remplaçaient les yeux, l'empreinte de sa main la signature, et où il a apposé de surcroît un bouton de sonnerie qui ne fonctionnait pas, Man Ray avait abattu son premier atout : l'humour iconoclaste. Mais cette volonté de démythification de l'art, qui l'a entraîné à utiliser des procédés « non artistiques », ne l'empêchait aucunement d'accomplir de belles œuvres, qui sont simplement très en avance sur le goût de son temps. Ses peintures à l'aérographe : Suicide, The Rope Dancer (1917), La Volière, Admiration of the Orchestrelle for the Cinematograph, Seguidilla, Jazz et Hermaphrodite (1919), indifféremment abstraites ou figuratives, créent des espaces aériens, où la gouache pulvérisée rappelle certains effets photographiques. La réalité en est comme gommée, au bénéfice d'un « pur acte cérébral ».

Premières expérimentations qui pouvaient donner à Man Ray, arrivant à Paris sur le conseil de Duchamp, l'espoir de s'y faire connaître et reconnaître comme peintre. Mais Man Ray avait déjà réalisé à New York un certain nombre de photographies très originales, autour de l'œuvre et de la personnalité de Duchamp, ainsi que des autoportraits. Élevage de poussière, la plus mémorable de ces photos, exécutée en 1920, révèle de tout près le travail minutieux qu'accomplissait alors son ami Marcel Duchamp sur son « Grand Verre » : la poussière accumulée sur le verre, distribuée autour du dessin de la « machine célibataire », que la mise à l'horizontale change en une sorte de paysage technologique vu de très haut, y ajoute la dimension poétique d'une exploration lunaire. Prise à la banale lumière d'une ampoule électrique, elle doit sa précision au long temps d'exposition auquel Man Ray l'a soumise pendant le dîner qu'il fit ce soir-là avec Duchamp dans un restaurant voisin de l'atelier. Mais sa réputation de magicien de la photographie, qui pouvait faire des merveilles avec les appareils les plus rudimentaires, supplanta rapidement à Paris sa réputation de peintre d'avant-garde, et l'on prit l'habitude, assez légère, de négliger la seconde au profit de la première. Privé d'argent, et ayant rencontré Kiki de Montparnasse, avec laquelle Man Ray partagea sa vie pendant sept ans, il survécut à Paris grâce aux portraits photographiques et aux photos de mode qui lui furent commandées notamment par Paul Poiret. Une œuvre considérable en est née : tous les grands artistes et écrivains, européens et américains, qui vivaient ou passaient à Montparnasse ont acquis leur figure emblématique définitive dans l'oculaire de Man Ray. Non seulement Duchamp, le premier d'entre eux, photographié à côté de sa Rotative demi-sphère en 1920 à New York, ou jouant aux échecs sur les toits de Paris en 1924, mais Kiki elle-même, coiffée d'une voilette à ravir, offensivement nue, ou la tête posée à côté d'un masque africain (Blanche et noire, 1926), tous les surréalistes rassemblés pour la revue La Révolution surréaliste (1924), après le groupe dada de Paris (1922), et André Breton en profil romain de médaille, Antonin Artaud en acteur romantique, Philippe Soupault torse nu, la canne sous le bras, Tristan Tzara baisant la main de Nancy Cunard, Jean Cocteau aux gants tricotés, Aragon en jeune dandy inspiré, Paul Eluard auréolé d'une lampe, Pascin le chapeau melon sur l'oreille, Yves Tanguy aux cheveux hirsutes, Picasso, en imperméable devant un cendrier, Jacques Rigaut couché à terre, Brancusi son chien sur les genoux, Max Ernst, André Derain, Fernand Léger, Erik Satie, mais aussi toutes les belles femmes créatrices et indépendantes de l'époque : Dora Maar, Jacqueline Goddard, Lee Miller, Yvonne George, Iris Tree, Nush Eluard, et surtout Meret Oppenheim, photographiée à côté d'une presse à bras, nue et provocante, la paume et l'avant-bras enduits de graisse noire, « vierge » ambiguë maculée par la machine. Et puis tous les paysages de Paris, de nuit et de jour, vu par cet œil qui tient du réalisme documentaire d'Eugène Atget, qu'il a sorti de l'anonymat, et du surréalisme de René Magritte : la constellation de la pluie sur les trottoirs, une Parisienne avec son caniche devant une pissotière, la trace des chambres et des cheminées démolies au côté d'un immeuble, les marchandises bâchées le long de la Seine, des amoureux à la fenêtre du vieil hôtel « Au château tremblant ».

Deux innovations techniques importantes vont élargir le champ de son œuvre photographique : la rayographie (procédé déjà expérimenté par Christian Schad et par László Moholy-Nagy), que Man Ray mit au point à partir d'une erreur de manipulation dans sa chambre d'hôtel en 1922 (il avait glissé par mégarde une feuille de papier sensible dans le bain du révélateur alors que la lumière était allumée) : un verre gradué et un thermomètre s'y imprimèrent spontanément. Ainsi, des compositions d'une beauté spectrale, obtenues sans pellicule ni caméra, aussi uniques et originales que des dessins, que Tzara, alors son voisin d'hôtel, baptisa aussitôt rayographies, compensèrent par leur potentiel de surprise les contraintes subalternes du « métier » de photographe professionnel. De même, en 1930, au moment de tirer un portrait de Lee Miller, Man Ray eut l'idée d'utiliser le cerne noir et les forts contrastes provoqués par la surexposition : autre « erreur » technique, ainsi transformée en moyen d'expression plastique original. La solarisation ne procède pas d'une parodie mimétique de la peinture, comme le fut le pictorialisme, mais de la réinvention de la photographie par un peintre et, ainsi, de l'intégration de la photographie à la peinture, où elle n'a plus honte d'elle-même pour remplir le rôle d'Ingres en même temps, que celui de Nadar.

C'est par ses objets, ses assemblages, que Man Ray a atteint - à partir de l'Abat-jour de 1919, simple feuille de métal suspendue en spirale, la dimension obsessionnelle et mythique sans laquelle tout ne serait chez lui que démonstration anarchique du « tout est possible à partir de rien ». Son Cadeau de 1921, un fer à repasser, dont la semelle est hérissée de clous, son Objet à détruire de 1923 (rebaptisé Objet indestructible en 1957), un métronome dont le balancier est paré de la photo d'un œil de femme, L'Énigme d'Isidore Ducasse, un empaquetage, en couverture et ficelle, d'une probable machine à coudre et d'un possible parapluie, et le plus mystérieux peut-être, Emak Bakia vieilli, une crosse de violon ornée d'une touffe de crin : « Tant de créations remarquables », dit Sarane Alexandrian, « nées pour corriger les mœurs tout en déconcertant les raisonnements pragmatiques ou en bafouant les prétentions arrogantes ». Aussi, Man Ray était tout désigné pour concevoir et imposer universellement le Portrait imaginaire de D.A.F. de Sade (1938), superbe figure monumentale en pierres, de profil devant une Bastille qu'on commence à incendier : deux ans avant le moment où il fut obligé de quitter Paris pour échapper à l'occupation nazie. Il passera toute la guerre à Hollywood, où il a photographié les vedettes, épousé Juliet Browner et commencé à faire connaître son œuvre dans les musées américains et à San Francisco, Santa Barbara, Pasadena, Los Angeles et au Whitney Museum de New York, où il participa en 1946 à l'exposition Pioneers of Modern Art in America. Revenu à Paris en 1951, il s'installe rue Férou et expose quelques-unes de ses 22 Équations shakespeariennes (ou 22 non-abstractions) de 1948, à propos desquelles il écrivit une lettre ouverte à André Breton qui avait préfacé ses deux livres : Photographies 1929-1934 (1934) et La photographie n'est pas l'art (1937). Entrelaçant sans cesse peintures, objets et photographies, passant de l'image semi-onirique, comme le très célèbre À l'heure de l'Observatoire, les amoureux (1932-1934) et Soleil de nuit (1943), à des illustrations très libres de Sade : Aline et Valcour (1950), comme à des toiles où il réinvente à partir du spectre solaire ses abstractions et ses collages de l'époque de ses peintures à l'aérographe (Revolving Doors, 1972), Man Ray ne cesse de se divertir de lui-même, de jouer de ses propres thèmes, de biaiser avec tous les genres, toutes les définitions, et, comme le dit André Breton, de maintenir le cap d'un « naufrageur du prévu ». Quelques-unes des œuvres que personne ne voulait acquérir et qu'il offrait à ses amis pendant les années vingt ont fini par atteindre des prix exorbitants, et certaines de ses photos, comme le dos de Kiki intitulé Violon d'Ingres prise à la suite d'une petite dispute avec elle, demeureront comme les Joconde du XXe siècle. Les films qu'il a réalisés : Le Retour à la raison (1923), Emak Bakia (1926), L'Étoile de mer (1928) et Les Mystères du château du dé (1929), accomplis à l'écart de l'industrie, avec les moyens du bord, sont tous fidèles (jusque dans l'érotisme) à cette liberté absolue de décision qui fut sa seule raison de vivre et de créer. En supprimant une scène où Kiki se déshabillait, bien que Man Ray l'ait filmée à travers un objectif brouillé par de la gélatine, ou un sous-titre de Desnos, tel il faut battre les morts quand ils sont froids, comme les bureaux de la Censure l'ont exigé avant la projection publique de L'Étoile de mer, les réactionnaires ne comprenaient pas qu'ils contribuaient à faire de toute l'œuvre de Man Ray une forme exemplaire du dissensus individuel pur. En puisant aujourd'hui dans cette œuvre, chacun peut y trouver un stimulant de singularité pour triompher d'un nouveau « totalitarisme » : le consensus de la médiocrité.



Alain JOUFFROY. « MAN RAY », Encyclopaedia Universalis



Écrits de Man Ray



Autoportrait, Laffont, Paris, 1964 ;


« Sur le réalisme photographique », in Cahiers d'art, X, no 5-6, Paris, 1935 ;


La photographie n'est pas l'art, Préf. A. Breton, G.L.M., Paris, 1937 ;


« La Photographie qui console », in XXe Siècle, I, no 2, Paris, 1938 ;


« Tous les films que j'ai réalisés », in Études cinématographiques, no 38-39, Paris, 1965 ;


Les Invendables, catal. expos., galerie A. Chave, Vence, 1969.



Écrits sur Man Ray



T. TZARA, La Photographie à l'envers, Préface aux Champs délicieux de Man Ray, Paris, 1922
G. RIBEMONT-DESSAIGNES, Man Ray, coll. Peintres nouveaux, Gallimard, Paris, 1924
A. BRETON, P. ELUARD, R. SÉLAVY (M. DUCHAMP), T. TZARA, textes pour Man Ray/Photographies/1920-1934, éd. James Thrall Soby, Cahiers d'art, Paris, Random House, New York, 1934
A. JOUFFROY, « Man Ray devant les femmes », in XXe Siècle, no 35, Paris, 1970 ; « Introduction au génie de Man Ray », in Man Ray, catal. expos. musée Boymans van Beuningen de Rotterdam, 1971, et au Musée national d'art moderne, Paris, 1972
P. BOURGEADE, Bonsoir, Man Ray, Belfond, Paris, 1972
JANUS, Man Ray, Hachette-Fabbri, Paris-Milan, 1973
S. ALEXANDRIAN, Man Ray, Filipacchi, Paris, 1973
L. ANSELMINO & B. M. PILAT, Man Ray. Opera grafica, 2 vol., Studio Marconi, Milan, 1973-1984
R. PENROSE, Man Ray, Chêne, Paris, 1975
A. SCHWARZ, Man Ray, The Rigour of Imagination, Thames & Hudson, Londres, 1977
J.-H. MARTIN et al., Man Ray photographe, catal. expos. Centre Georges-Pompidou, P. Sers, Paris, 1981
M. FORESTA et al., Man Ray, Gallimard, Paris, 1989



***



Man Ray. Born Emmanuel Radnitsky, on August 27, 1890, in Philadelphia, the first of four children of Melach Radnitsky, a tailor, and Manya Louria (or Lourie), both Russian-Jewish immigrants. He assumed the single combined first and last name of Man Ray when his entire family adopted the surname Ray in 1911. The family moved to Brooklyn, New York, in 1897, where Man Ray, with family encouragement, early manifested his enduring fascination with gadgets, objects, and inventions as well as with art. While attending Boys' High School from 1904 to 1908, Man Ray's passion for art grew, initially in visits to the New York museums and later when he saw the first modern works shown in the city, in 1908. Graduating from high school in 1908 with a determination to become an artist, he daringly refused a scholarship to study architecture. After two brief and unsatisfactory stints at more established art schools, with Alfred Stieglitz's encouragement and then with the mentorship of Robert Henri at the life drawing sessions at the anarchist Ferrer School, Man Ray became a largely self-taught artist. Establishing a lifelong pattern, he improvised, sometimes copied, more often invented, and constantly learned from his friends. Man Ray, particularly inspired by the cubist works at the Armory Show of 1913, absorbed the iconoclasm of the young poets, radicals, and artists then giving a new flavor to New York life. That year he moved out of the family home first to Manhattan and then to a little cottage in an artists' colony in Ridgefield, New Jersey. In these years he painted a series of cubist canvases, coedited an avant-garde journal (its one issue included poetry by Ezra Pound and William Carlos Williams), wrote and self-published poetry, and drew antiwar political cartoons for Emma Goldman's Mother Earth News. In May 1914 he married Adon Lacroix, a Belgian-born, French-speaking poet; they had no children. In 1915, at his first one-person show at the Daniel Gallery in Manhattan, an important collector bought six of his cubist paintings, providing both the money and the incentive for him to rent a studio in New York City. Man Ray also bought a camera, chiefly to document his own art works. At this time he met Marcel Duchamp, who became his closest friend and strongest artistic influence. In the next five years, Man Ray largely moved away from conventional painting to other media--collage, photography, the assemblages from found materials, and aerographs--creating a rich variety of works that demonstrate, despite the marks of Duchamp's influence, a formed artistic style. The Rope Dancer Accompanies Herself with Her Shadows (1916), influenced by Duchamp's then unfinished assemblage The Bride Stripped Bare by Her Bachelors, Even (19151923) and painted from a collage, illustrates the multiple media and influences that became a fixed part of his style. The Revolving Doors (1916-1917), a series of ten collages accompanied by a text, rendered mysterious Man Ray's developing theories of art by creating deliberate confusion between abstraction and representation. Self-Portrait (1916) was his first publicly exhibited proto-dada object, a canvas with two doorbells and buzzer that frustrated viewers by not ringing when pressed. He painted Suicide (1917) with a commercial airbrush--a "pure cerebral activity," he asserted, since the artist never touched the work's surface. And he created his first photographic images. Portraits and reproductions of works of art brought him a living without trudging to an office. He experimented with puns, whimsies, shadows, and symbols, such as the eggbeater and its shadow that became the photograph titled Man (1918) and the flashbulb reflectors, six clothespins, and shadow that became Woman (or Shadow) (1918), both suggestive of Duchamp's "ready-mades." The New York art world provided Man Ray with stimulating companions, but efforts to create a climate for modernism and dada in the city failed, and he found no buyers for his newer, less inhibited work. In about 1918 he and his wife separated, although they did not divorce until 1937. His marriage having collapsed, Man Ray burned a number of his older works, borrowed $500, and set off to Paris in July 1921. Paris both rewarded and disappointed him. Welcomed by the Dadaists as a precursor, he fell immediately into their social scene. His first show, under dada auspices, however, proved that Paris also offered no market for his paintings. But commissions for portrait and fashion photography soon assured him a livelihood and allowed him to create images that established his reputation as a master photographer. While Man Ray never quite overcame his prejudice that photography rated below painting as an art form, he, in fact, maintained his avant-garde reputation in large part through the invention, or more strictly the reinvention (since Fox Talbot had done them in the 1830's) of the photogram, the cameraless photograph created by placing objects on photosensitive paper and exposing them to light. With his rayographs, as Man Ray called them, he had, said writer Jean Cocteau, unlearned painting by making "paintings with light." To Tristan Tzara, a leader in the dada movement, he had transformed a machine-age art from mechanical to mysterious: common objects were "set, softened, and filtered like a head of hair through a comb of light." He further removed photography from any suspicion that it offered an objective rendering of the world by perfecting solarization, which created demarcating lines around images by controlled introduction of light during the developing process. Man Ray's reputation among French artists as well as in the fashion industry grew even as American critics, dubious about photography as art, viewed him as an illusionist, a trickster, and an entrepreneur. His success, however, was undeniable. The subjects of his portraits included Georges Braque, Pablo Picasso, Henri Matisse, Gertrude Stein, Francis Poulenc, and Ernest Hemingway in the arts as well as such social notables as Nancy Cunard and the Marquise Casati, whose double-exposed face with two pairs of eyes both pleased its subject and became a surrealist icon. His several experimental films commanded enthusiastic audiences among the Paris literati and remain a subject for scholars of the film. His images of women--nudes, faces, complex distortions, punning surreal compositions, such as the famous Le Violon d'Ingres (1924) with its violin F-shaped sound holes on his model's naked back--remain among his most influential works. His art appeared frequently both in exhibitions and in various magazines, ranging from avant-garde publications to Vogue and Harper's Bazaar. Man Ray earned a good living and generally enjoyed his expatriate life in the Paris art community. His liaison with beautiful women, particularly Kiki, a nightclub singer and painters' model known as "Queen of Montparnasse," and Lee Miller, the famous model and photographer, inspired major works. His best-known painting of the Paris years, Observatory Time-- The Lovers (19321934) (also known as The Lips), began with a photograph of Kiki's lips and emerged years later as a giant vision of Miller's lips floating in the sky over Paris. By the time World War II forced Man Ray to return to the United States in 1940, he had become a major figure in international art: a leading modernist photographer with a vast body of work, an occasional painter of notable surrealist images, an indefatigable creator of surrealist objects, and a pioneer in making fashion photography adventuresome. The return to the United States, where Man Ray had never gained acceptance as an artist, was difficult. He stayed only briefly in New York City, largely avoiding the art world, and soon migrated to Los Angeles. There, in the "beautiful prison" of California, as he described it, he found respect as a pioneer of modernism, opportunities to paint and to exhibit his work, and a few admirers who bought enough of his work to keep him going. He also met Juliet Browner, a dancer; they were married on October 24, 1946. They had no children. Man Ray was never fully comfortable in Hollywood, never felt the respect for his calling as a dedicated iconoclastic artist that had always consoled him in Paris, and was never financially secure. In March 1951 the Man Rays sailed for France. During the next quarter century Man Ray continued to paint, to make objects, to commission replicas of his objects ("To create is divine," he wrote. "To reproduce is human."), to write--including an autobiography, Self Portrait, in 1963, and to cooperate in the monumental exhibitions of his work mounted with increasing frequency as his reputation as a creator of the modern style continued to grow. His place in art history was secured in the 1960's as dadaesque objects again flourished and photographic images gained acceptance as works of art. Major exhibitions in Paris in 1962, in Los Angeles in 1966, in Rotterdam in 1971, in Paris in 1972, and in New York in 1974 demonstrated renewed appreciation of his lengthy career. He died in his studio in Paris. Man Ray never achieved the reputation as a painter to which he aspired, could never accept with grace his seminal role in the history of photography, and always longed for an acceptance by American art critics that he never quite achieved in his lifetime. Nonetheless, his place in twentieth-century art continued to grow after his death. The National Museum of American Art mounted Perpetual Motif: The Art of Man Ray in 1988, a retrospective exhibition that traveled to Los Angeles, Houston, and Philadelphia during the next two years. The French government in the early 1990's constructed a replica of his studio in the Pompidou Center as a monument to the American whom France has adopted as one of its national treasures. William Copley, one of his patrons, termed him "the Dada of us all." He brought together an astonishing number of the characteristics that have been labeled "postmodern" in the art made in the years since his death. He created objects only to photograph them; he dissolved the line between unique and reproducible objects; he pioneered manipulated and cameraless photography; he veered from medium to medium; he incorporated machine-made and artist-crafted objects into hybrids; he rejected craft and technique for concept and idea; he combined words and images in startling and humorous juxtapositions; he was a cheerful surrealist, a nonideological dadaist, a tinker and inventor, an American and a European, a conjurer of dreams but usually not of nightmares. He sought to "amuse, bewilder, annoy, and inspire" rather than to shock--or to confront the full terrors of the twentieth-century world.

© Biography Resource Center, 2001 Gale Group

PRÉ-DADA : STÉPHANE MALLARMÉ

NADAR. Portrait photographique de Stéphane MALLARMÉ

Préface


J’aimerais qu’on ne lût pas cette Note ou que parcourue, même on l’oubliât ; elle apprend, au Lecteur habile, peu de chose situé outre sa pénétration : mais, peut troubler l’ingénu devant appliquer un regard aux premiers mots du Poème pour que de suivants, disposés comme ils sont, l’amènent aux derniers, le tout sans nouveauté qu’un espacement de la lecture. Les "blancs", en effet, assument l’importance, frappent d’abord ; la versification en exigea, comme silence alentour, ordinairement, au point qu’un morceau, lyrique ou de peu de pieds, occupe, au milieu, le tiers environ du feuillet : je ne transgresse cette mesure, seulement la disperse. Le papier intervient chaque fois qu’une image, d’elle-même, cesse ou rentre, acceptant la succession d’autres et, comme il ne s’agit pas, ainsi que toujours, de traits sonores réguliers ou vers - plutôt, de subdivisions prismatiques de l’Idée, l’instant de paraître et que dure leur concours, dans quelque mise en scène spirituelle exacte, c’est à des places variables, près ou loin du fil conducteur latent, en raison de la vraisemblance, que s’impose le texte. L’avantage, si j’ai droit à le dire, littéraire, de cette distance copiée qui mentalement sépare des groupes de mots ou les mots entre eux, semble d’accélérer tantôt et de ralentir le mouvement, le scandant, l’intimant même selon une vision simultanée de la Page : celle-ci prise pour unité comme l’est autre part le Vers ou ligne parfaite. La fiction affleurera et se dissipera, vite, d’après la mobilité de l’écrit, autour des arrêts fragmentaires d’une phrase capitale dès le titre introduite et continuée. Tout se passe, par raccourci, en hypothèse ; on évite le récit. Ajouter que de cet emploi à nu de la pensée avec retraits, prolongements, fuites, ou son dessin même, résulte, pour qui veut lire à haute voix, une partition. La différence des caractères d’imprimerie entre le motif prépondérant, un secondaire et d’adjacents, dicte son importance à l’émission orale et la portée, moyenne, en haut, en bas de page, notera que monte ou descend l’intonation. Seules certaines directions très hardies [1], des empiètements, etc., formant le contrepoint de cette prosodie, demeurent dans une œuvre, qui manque de précédents, à l’état élémentaire : non que j’estime l’opportunité d’essais timides ; mais il ne m’appartient pas, hormis une pagination spéciale ou de volume à moi, dans un Périodique, même valeureux, gracieux et invitant qu’il se montre aux belles libertés, d’agir par trop contrairement à l’usage. J’aurai, toutefois, indiqué du Poème ci-joint, mieux que l’esquisse, un « état » qui ne rompe pas de tous points avec la tradition ; poussé sa présentation en maint sens aussi avant qu’elle n’offusque personne : suffisamment, pour ouvrir des yeux. Aujourd’hui ou sans présumer de l’avenir qui sortira d’ici, rien ou presque un art, reconnaissons aisément que la tentative participe, avec imprévu, de poursuites particulières et chères à notre temps, le vers libre et le poème en prose. Leur réunion s’accomplit sous une influence, je sais, étrangère, celle de la Musique entendue au concert ; on en retrouve plusieurs moyens m’ayant semblé appartenir aux Lettres, je les reprends. Le genre, que c’en devienne un comme la symphonie, peu à peu, à côté du chant personnel, laisse intact l’antique vers, auquel je garde un culte et attribue l’empire de la passion et des rêveries ; tandis que ce serait le cas de traiter, de préférence (ainsi qu’il suit) tels sujets d’imagination pure et complexe ou intellect : que ne reste aucune raison d’exclure de la Poésie - unique source.

Note :
[1] La partie comprise entre les mots « Seules certaines directions... » et « ... suffisamment pour ouvrir des yeux » concernait plus spécialement l’édition de ce Poème donnée dans la revue Cosmopolis (mai 1897) pour laquelle cette Préface avait été faite. Celle-ci, du reste, nous a paru d’un intérêt assez général, et assez significative de la pensée de l’auteur pour être reproduite ici, en tête de l’édition définitive, préparée par ses soins, telle qu’elle allait paraître au moment où la mort le surprit. L’innovation principale établie par lui dans ce dernier « état » de son œuvre, pour reprendre le terme dont il se servit, nous semble consister en ceci qu’il n’existe pas de page recto ou verso, mais que la lecture se fait sur les deux pages à la fois, en tenant compte simplement de la descente ordinaire des lignes (Note de l’Éditeur - © 1914, La Nouvelle Revue Française).


UN COUP DE DÉS

JAMAIS

QUAND BIEN MÊME LANCÉ DANS DES CIRCONSTANCES ÉTERNELLES

DU FOND D’UN NAUFRAGE

SOIT que

l’Abîme

blanchi
étale
furieux
sous une inclinaison
plane désespérément

d’aile

la sienne

par

avance retombée d’un mal à dresser le vol
et couvrant les jaillissements
coupant au ras les bonds

très à l’intérieur résume

l’ombre enfouie dans la profondeur par cette voile alternative

jusqu’adapter
à l’envergure

sa béante profondeur en tant que la coque

d’un bâtiment

penché de l’un ou l’autre bord

LE MAÎTRE
hors d’anciens calculs
où la manoeuvre avec l’âge oubliée
surgi
inférant
jadis il empoignait la barre
de cette conflagration
à ses piedsde l’horizon unanime

que seprépare
s’agite et mêle
au poing qui l’étreindrait
comme on menaceun destin et les vents
l’unique Nombre qui ne peut pas
être un autre

Espritpour le jeter
dans la tempête
en reployer la division et passer fier

hésite
cadavre par le bras
écarté du secret qu’il détient
plutôt
que de jouer
en maniaque chenu
la partieau nom des flots
un
envahit le chef
coule en barbe soumise
naufrage cela
direct de l’homme

sans nef
n’importe
où vaine

ancestralement à n’ouvrir pas la main
crispée
par delà l’inutile tête

legs en la disparition

à quelqu’un
ambigu

l’ultérieur démon immémorial

ayant
de contrées nulles
induit
le vieillard vers cette conjonction suprême avec la probabilité

celui
son ombre puérile
caressée et polie et rendue et lavée
assouplie par la vague et soustraite
aux durs os perdus entre les ais


d’un ébat
la mer par l’aieul tentant ou l’aieul contre la mer
une chance oiseuse

Fiançailles
dont
le voile d’illusion rejailli leur hantise
ainsi que le fantôme d’un geste

chancellera
s’affalera

folie

N’ABOLIRA

COMME SI

Une insinuation
simple
au silence
enroulée avec ironie
ou
le mystère
précipité
hurlé

dans quelque proche
tourbillon d’hilarité et d’horreur

voltige
autour du gouffre
sans de joncher
ni fuir

et en berce le vierge indice

COMME SI

plume solitaire éperdue

sauf

que la rencontre ou l’effleure une toque de minuit
et immobilise
au velours chiffonné par un esclaffement sombre

cette blancheur rigide

dérisoire
en opposition au ciel
trop
pour ne pas marquer
exigûment
quiconque

prince amer de l’écueil

s’en coiffe comme de l’héroique
irrésistible mais contenu
par sa petite raison virile
en foudre

soucieux
expiatoire et pubère
muet
rire
que

SI

La lucide et seigneuriale aigrette
de vertige
au front invisible
scintille
puis ombrage
une stature mignonne ténébreuse
debout
en sa torsion de sirène
le temps
de souffleter
par d’impatientes squames ultimes
bifurquées
un roc

faux manoir
tout de suite
évaporé en brumes

qui imposa
une borne à l’infini

C’ÉTAIT
LE NOMBRE
issu stellaire

EXISTAT-IL
autrement qu’hallucination éparse d’agonie

COMMENÇAT-IL ET CESSAT-IL
sourdant que nié et clos quand apparu
enfin
par quelque profusion répandue en rareté
SE CHIFFRAT-IL

évidence de la somme pour peu qu’une
ILLUMINAT-IL

CE SERAIT
pire
non
davantage ni moins
indifféremment mais autant
LE HASARD

Choit
la plume
rythmique suspens du sinistre
s’ensevelir
aux écumes originelles
naguères d’où sursauta son délire jusqu’à une cime
flétrie
par la neutralité identique du gouffre

RIEN

de la mémorable crise
ou se fût
l’événement
accompli en vue de tout résultat nul
humain
N’AURA EU LIEU
une élévation ordinaire verse l’absence

QUE LE LIEU
inférieur clapotis quelconque comme pour disperser l’acte vide
abruptement qui sinon
par son mensonge
eût fondé
la perdition

dans ces parages
du vague
en quoi toute réalité se dissout

EXCEPTÉ
à l’altitude
PEUT-ÊTRE
aussi loin qu’un endroit
fusionne avec au delà
hors l’intérêt
quant à lui signalé
en général
selon telle obliquité par telle déclivité
de feux

vers
ce doit être
le Septentrion aussi Nord

UNE CONSTELLATION
froide d’oublie et de désuétude
pas tant
qu’elle n’énumère
sur quelque surface vacante et supérieure
le heurt successif
sidéralement
d’un compte total en formation

veillant
doutant
roulant
brillant et méditant

avant de s’arrêter
à quelque point dernier qui le sacre

Toute Pensée émet un Coup de Dés




DADA : JONCTION ZURICH-NEW YORK-PARIS

Francis PICABIA (Éd.) 391, numéro 8,

PRÉPARATION DE NEW YORK DADA


CAMERA WORK, published between 1903 and 1917 by Alfred Stieglitz, and perhaps the most important arts magazine of the early 20th century. In its 50 issues essayists and artists pronounced on the rapidly evolving world of art and photography. The work of key new artists from both sides of the Atlantic, John Marin, Cézanne, Matisse, Picasso, Rodin, Marius De Zayas, and others, was represented. In fact, artists such as Matisse appeared in Camera Work several years before the celebrated Armory Show of 1913.

Stieglitz, founder of the Little Galleries of the Photo-Secession (1905-8) and its successor, Gallery 291 (1908-17), saw the need for a journal that would celebrate photography as a fine art ; indeed, an art that, as with painting, sculpture, and music, would inevitably evolve with time. He had founded or edited several earlier journals, American Amateur Photographer and Camera Notes, but in each of these he had encountered resistance to his ideas.

Camera Work became a forum for lively criticism and debate about not only photography but the arts in general. R. Child Bayley, Robert Demachy, Frederick Evans, Sadakichi Hartmann, George Bernard Shaw, and Edward Steichen were among the many who contributed opinion pieces; Gertrude Stein's first writing appeared in the journal. The images presented in Camera Work were meticulously printed, making it unique in the world of periodicals. Detailed descriptions of the techniques used to produce them were also included.

It is significant that the last issue of the journal (49/50, June 1917) introduced the radical work of Paul Strand.

— Tim TROY

+ J. GREEN, Camera Work : A Critical Anthology (1973)

Marius DE ZAYAS. Alfred Stieglitz, Photogravure, 23.6 x 17.8, Camera Work, XLVI, 1914

Marius DE ZAYAS. Throws Back Its Forelock. Couverture du numéro 1 de 291, New York, mars 1915

MAN RAY & Adon LACROIX (Éd.) The Ridgefield Gazook, numéro 0 (unique), 31 mars 1915

Abraham WALKOWITZ. Couverture du numéro 3 de 291, mai 1915

Marius DE ZAYAS et Agnes ERNST MEYER, Mental Reactions, 291, numéro 2, avril 1915

Marius DE ZAYAS and Agnes ERNST MEYER, Mental Reactions, 291, numéro 2, avril 1915

Mental Reactions—by general accounts the earliest example of visual poetry in America—is the original maquette for a printed version published in the avant-garde magazine 291. Both a drawing and a poem, the work is a collaboration between the Mexican-born caricaturist Marius de Zayas (1880–1961) and the American journalist and art patron Agnes Ernst Meyer (1887–1970).

De Zayas left Mexico for New York in 1907 and within two years was exhibiting at Alfred Stieglitz's Fifth Avenue gallery, known as 291. Defining himself as a "propagandist for modern art," de Zayas helped arrange Pablo Picasso's first United States exhibition—a show held at 291 in 1911—and a pioneering exhibition of African sculpture at the same gallery in 1914. On visits to Paris in 1910 and 1914 he met the most advanced artists and writers working in Europe, including Guillaume Apollinaire—French poet, critic, and editor of the review Les Soirées de Paris—whose calligrams, or visual poems, had a powerful influence on him. Writing to Stieglitz from Paris in July 1914, de Zayas enthused: "[Apollinaire] is doing in poetry what Picasso is doing in painting. He uses actual forms made up with letters. All these show a tendency towards the fusion of the so-called arts." Apollinaire published four of de Zayas' caricatures in Les Soirées de Paris in 1914, and the following year de Zayas published one of Apollinaire's calligrams in 291, introducing the newest synthesis of word and image to an American audience.

Another member of the Stieglitz circle visiting Paris that July was Agnes Meyer, whom de Zayas took to see Picasso's latest works. Returning to New York after the war broke out, Meyer and de Zayas joined forces with Stieglitz and the French businessman and photographer Paul Haviland, another Stieglitz associate, to found the magazine 291. Its second issue featured a full-page printed version of Mental Reactions, in which Meyer's poem, cut into individually trimmed blocks of pasted-down text, is literally strewn across the page. De Zayas' bold, cubistlike composition lends structure to the whole, but for readers there is no single or prescribed direction. We begin at the upper left and confront, as the text descends, multiple pathways and multiple readings. The poem records the random musings and doubts of a woman torn between an illicit romance ("why cannot all the loves of all the world be mine?") and dutifulness ("Their bed-time. / They will want to say good-night. / I must go."). While 291 was hardly a feminist journal, it was sympathetic to women's causes and receptive to examining the female identity and condition.

Mental Reactions represents an early chapter in the history of DADA. To reach a broader audience, de Zayas sent copies of 291 to vanguard artists in Europe, including Tristan Tzara, a leader in the emerging Dada movement. Tzara, in turn, sent publications to de Zayas, making him the conduit for Dada ideas in New York. De Zayas was never a member of the Dada group, and the scholar Francis M. Naumann has rightly pointed out that he would have rejected its nihilism. Nonetheless, innovative works such as Mental Reactions were known to the dadaists in Europe and are part of DADA's larger history.

Agnes Ernst first met Alfred Stieglitz and the 291 circle in 1908, when she was an enterprising freelance reporter for the New York Sun. After marrying the wealthy financier Eugene Meyer two years later, she became an avid art collector and a generous patron. Eugene and Agnes Meyer donated important works to the National Gallery beginning in 1958, including paintings by Paul Cézanne and Edouard Manet, sculptures by Constantin Brancusi, and watercolors by John Marin. Agnes Meyer was the mother of Katharine Graham, publisher of the Washington Post and recipient of the Pulitzer Prize for her autobiography, Personal History.

Illustration de Francis PICABIA pour le numéro 2 de 291, New York, avril 1915

John MARIN. Couverture du numéro 4 de 291, New York, juin 1915

Marius DE ZAYAS. Femme (Elle) & Francis PICABIA. Voilà Elle, 291, numéro 9, New York, novembre 1915

Francis PICABIA. J'ai vu de Marius DE ZAYAS, New York, 1915


Francis PICABIA. Ici, c'est ici Stieglitz / Foi et Amour, Couverture de 291, numéro 5-6, New York, juillet-août 1915

www.cargillcontemporary.com/papers/291/

Francis PICABIA (Éd.), 391, numéro 2, Barcelone, février 1917


Marcel DUCHAMP, Henri-Pierre ROCHÉ & Beatrice WOOD (Éd.). The Blind Man, numéro 1, New York, 10 avril 1917


Marcel DUCHAMP, Henri-Pierre ROCHÉ & Beatrice WOOD (Éd.). The Blind Man, numéro 2, New York, mai 1917

Marcel DUCHAMP (Éd.) Rongwrong, numéro 1 (unique), New York, 1917



Francis PICABIA (Éd.), 391, New York, 1917

Francis PICABIA (Éd.), 391, New York, 1917

mercredi 24 février 2010

MAX ERNST (II)

Max ERNST, Le Rossignol chinois, Photomontage, 1920, 12,2 X 8,8, Grenoble, Musée de Grenoble
Max ERNST. La Santé par le sport. Collage, 1920
Max ERNST, Au-dessus des nuages, marche la Minuit. Au-dessus de la Minuit, plane l'oiseau invisible du jour. Un peu plus haut que l'oiseau, l'éther pousse et les toîts flottent. Collage, 1920, 18,4 x 13, collection particulière
Je suis tenté d'y voir l'exploitation de la rencontre fortuite de deux réalites distantes sur un plan non-convenant (cela soit dit en paraphrasant et en généralisant la célèbre phrase de Lautréamont : Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie) ou, pour user d'un terme plus court, la culture des effets d'un dépaysement systématique selon la thèse d'André BRETON: « La surréalité sera d'ailleurs fonction de notre volonté de dépaysement complet de tout (et il est bien entendu qu'on peut aller jusqu'à dépayser une main en l'isolant d'un bras, que cette main y gane en tant que main, et aussi qu'en parlant de dépaysement, nous ne pensons pas seulement à la possibilité d'agir dans l'espace). » (« Avis au lecteur pour La Femme 100 têtes de Max Ernst »)

Une réalité toute faite, dont la naïve destination a l'air d'avoir été fixée une fois pour toutes (un parapluie) se trouvant subitement en présence d'une réalité très distante et non moins absurde (une machine à coudre) en un lieu où toutes deux doivent se sentir dépaysées (sur une table de dissection) échappera par ce fait même à sa naïve destination et à son identité ; elle passera de son faux absolu, par le détour d,un relatif, à un absolu nouveau, vrai et poétique : parapluie et machine à coudre feront l'amour. le mécanisme du procédé me semble dévoilé par ce très simple exemple. La transmutation complète suivie d'un acte pur comme celui d'amour, se produira forcément toutes les fois que les conditions seront rendues favorables par les faits donnés: accouplement de deux realités en apparence inaccouplables sur un plan qui en apparence ne leur convient pas.
Max ERNST, « Au-delà de la peinture », Écritures, Paris, Gallimard, 1970, 253-256
Max ERNST. La Parole ou Femme-oiseau. Collage et gouache sur papier. 1921, 18.5 x 10.6, Collection particulière
Albrecht DÜRER. Adam et Ève, gravure sur cuivre, 1504, 25 X 19

LA PAROLE

J'ai la beauté facile et c'est heureux.
Je glisse sur les toits des vents
Je glisse sur le toit des mers
Je suis devenue sentimentale
Je ne connais plus le conducteur
Je ne bouge plus soie sur les glaces
Je suis malade fleurs et cailloux
J'aime le plus chinois aux nues
J'aime la plus nue aux écarts d'oiseau
Je suis vieille mais ici je suis belle
Et l'ombre qui descend des fenêtres profondes
Épargne chaque soir le coeur noir de mes yeux.

Paul ÉLUARD, « La Parole » (1923), Répétitions


***


mardi 23 février 2010

MAX ERNST (I)


Max ERNST. Le Punching Ball ou l'Immortalité de Buonarroti, 1920.
Photomontage, gouache, et encre sur photographie. 1920

Max ERNST (1891-1976). Born on 2 April 1891 in Brühl, near Cologne. Painter, poet. Studied philosophy at the Bonn university (1909 - 1911). Never had any formal artistic training. Exhibited at the First German Autumn Saloon "Sturm", Berlin, 1913 and in the same year went to Paris for the first time. There he came to know the work of Picasso and de Chirico. In 1914 he met Arp at the "Werkbund" exhibition, Cologne. Further exhibition at the "Storm" gallery, Berlin, in 1916. In 1919 he founded, together with Arp and Baargeld, the Cologne dada group and collaborated with Arp in the creation of the "Fatagaga" collages ("Fatagaga" = "Fabrication de tableaux garantis gazométriques" = "Manufacture of guaranteed gasometric pictures"). Co-editor of "Dada W3" and "Schammade". Organized the dada-exhibition in the "Brauhaus Winter", which was closed by the police as contrary to "morals". In 1920 first exhibition of collages at the "Sans Pareil" gallery, Paris. Took part in the dada-meeting in Tyrol 1921, together with Arp, Breton and Tzara. Contribution to "Dada in Tirol, Au Grand Air, Der Sängerkrieg". Went to Paris in 1922. Contributor to many dadaist publications. Took an active part in the founding of surrealism and became one of the leading surrealist painters. Moved to New York in 1942 and lived both there and in Sedona, Arizona, until his return to France in 1954.

Max ERNST. Little machine constructed by Minimax Dadamax in person for fearless pollination of female suckers at the beginning of the change of life and for other such fearless functions (Von minimax dadamax selbst konstruiertes maschinchen. Collage et dessin, 1919-1920

Annonce pour l'exposition Max Ernst parue dans Littérature n° 19, mai 1921


Max ERNST. Katharina Ondulata,Collage, gouache, encre, et crayon sur papier imprimé, 1920.

Max ERNST. The Gramineous Bicycle Garnished with Bells the Dappled Fire Damps and the Echinoderms Bending the Spine to Look for Caresses. Collage et dessin, 1921

The scandals associated with the name of Max Ernst during the early post-war period have become legendary. They were sparked off by radical actions designed to épater les bourgeois to the utmost. Yet the artist's involvement in this type of activity was sporadic and temporary. He once explained why this was so during a visit he and I made in 1967 to the great Dada retrospective in Paris. Being a Dadaist by profession, he said, was a contradiction in terms. There was no such thing as an unchanging state of revolution. And to put the spirit of Dada on exhibition, he continued, was no more than a weak illustration, like trying to capture the violence of an explosion by presenting the shrapnel.

Behind this rejection one could sense a realization that the deep and intense despair that had triggered off the first post-war works had been rendered harmless to the point of cuteness by the subsequent, reverential appreciation of Dada. The artistic character now so matter-of-factly attributed to these works was by no means intended by Max Ernst and the other members of the Dada groups. This is indicated by the revolutionary, self-destructive elements that occur in so many of Ernst's texts. Not only do they pillory and abuse established society, their hate is equally directed inwards, expressing itself in self-abasement and a radical renunciation of humanistic values and of belief in utopias. After a phase of extreme disillusionment which, as all the texts in Bulletin D or die schammade indicate, could react to the destruction of war only by reviling and distorting established values all the more, there gradually emerged works in which the pendulum of destruction began to swing back. The radicality with which, in the course of a few months in 1919, Ernst demolished the institutional and definitional parameters of art both traditional and avant-garde was followed before the year was out by the building of the world of collage.

The positive term 'building' is appropriate in this connection, although it may seem an extraordinary paradox. A few examples will serve to show what is meant. Max Ernst's rejection of art was given a stylistically determined form. The works that now emerged were structured by principles that governed the choice of materials and by constants that determined their use. From the beginning Ernst knew how to set limits on the infinite number of possibilities offered by existing materials and forms. When he invented this new working procedure based on quotation in 1920/21 he immediately recognized both its potential and the dangers it involved."The expressive possibilities of collage seem so simple that one is tempted to think that anyone could employ them to equal effect. Yet when one reviews the works of this early period - the printer's plate prints, say, those compositions made with the aid of old line blocks found in a printer's shop - it becomes obvious that Max Ernst's brilliant accomplishment consisted of having developed a syntax by which the employment of this found material could be controlled. For all their independence from traditional artistic techniques and the imitation of nature, it is surprising how much stylistic unity these works evince. Thanks to his stylistic syntax Ernst created recognizable links between the works, which form a coherent sequence. Criteria of choice and criteria of employment are everywhere in evidence. Indeed, the effect of every Max Ernst image depends largely on the fact that it sets its own limits. One might add, as a general principle, that the collages and frottages (and the painting and sculpture derived from these techniques) arc so astonishingly effective because their creator succeeded in placing conscious restrictions on the arbitrariness and amorphousness to which such semi-automatic techniques all too easily lead. Ernst not only created individual, disparate works; more importantly, with the aid of variations and series, he simultaneously created the climate in which these works live and breathe. And one should note that it was a climate his contemporaries found almost unbearably bracing. In an announcement in die schammade for the portfolio Fiat modes - pereat ars Max Ernst characterized himself, in an untranslatable pull on the German word for uterus, Gebarmutter, as 'der gebaervater methodischen irrsinns', the male mother of methodical madness. If we take 'methodical' to be the operative term which reveals the essence of his procedure, we have the precondition for the fascinating developments that now began."These are observations that run entirely counter to the first radical phase of Cologne Dada, whose attack on aesthetic conventions placed it closer to Duchamp and Francis Picabia than, say, to the Dadaists in Berlin. This is why, in dealing with Max Ernst's work, it is impossible to do without the concept of processing, the conscious reworking of existing material. It is pointless to speak of anti-art in this connection, because what we are dealing with, quite objectively, is the genesis of a superb and far-reaching aesthetic. This is the point at which Ernst, the artist, comes on the scene. We must face up to a paradox: his early work had no direction, and was a far cry from his subsequent Dada activities. His first paintings, done within the orbit of August Macke, the Sturm gallery and the Cologne Sonderbund exhibition, were as planless and stylistically inconsistent as his Dada period was definitely articulated, a world of stylistically and morally defined resistance.

"Again, the crux is this: Max Ernst's careful selection of seminal imagery employed in collages and all the variants of collage, and the formal criteria which determined the composition of the printer's plate prints, rubbings, overpaining,s montages of photographic positives and paste-ups of wood engravings all indicate the primacy of control. Everywhere we look, we find invariables that oppose the seemingly unlimited availability of the material, that place considerable restrictions on its character and use.

Let us try to define a few of the constants of this pictorial syntax. The most important is that Max Ernst's collages, for all their strangeness, strive for overall coherence and technical plausibility. This 'plausible' imagery, unlike the papiers colles of Picasso and Georges Braque, depends on an expurgation of the visible difference between artist's hand and non-artistic quotation. The joins and overlappings had to be concealed from the viewer. This is why Ernst frequently published his composite imagery only in printed form, in photographic reproduction or in versions later touched up with watercolour. Thanks to these tactics of concealment he succeeded in presenting collage as that which he thought it should be: a completely developed and autonomous system in which the origin of the separate elements is submerged in the final, total image. He was out to produce irritating imagery in which, as in the perfect crime, every clue to its identity had been erased. The joins between the collage elements, moreover, were not so much physical as mental in nature. The hinges linking one piece of source material with another had to remain invisible, which also explains why leaps in scale tended to be avoided. These would have given too much emphasis to the original meaning of the elements, upsetting the coherence of the final image. It is easy to see that such strict conditions limited the use of collage material to a much grater extent than is initially apparent.

The collages require a redefinition of categories, since the fabrication of such imagery is bound up with a completely innovative notion of tradition and with an extraordinarily intense involvement with illustrations. A literal quotation of the illustrations employed would obviously contradict the meaning of the new image constructed from them, and also the circumstance that this new image must become part of a defined stylistic context. Considerations of this kind served Max Ernst as a guideline in making his selection from the plethora of intrinsically neutral material available to him.

The laws of Dada - this seeming contradiction in terms is one of the most consequential results of a systematic investigation of the aesthetics of collage in Max Ernst's work. A glance around his studio will illustrate what I mean. Everywhere you looked there were stacks of illustrated books, scraps of wallpaper, raw materials of every description which the artist built into his works right up to the end of his career. When one leafs through the nineteenth-century folio volumes, illustrated with wood engravings, which were one of his favourite sources, one is surprised to find that he proceeded differently from the way one would have assumed in view of the enigmatic imagery that resulted from his use of them. Spectacular depictions with Dadaist or surreal qualities of their own interested him hardly at all. Instead, it was the banal, insignificant, run-of-the-mill illustrations that inspired him to pictorial statements of the most dazzling kind.

In the collages various levels of meaning coexist on a single pictorial plane. Confronted with this composite imagery we have no choice but to apply the notion, familiar from traditional art, of the picture as a unity, a totality. Looking at pictures has accustomed us to considering the motifs that appear within an image as a whole. If we were not compelled by the coherent nature of the collages to employ this simultaneous perception, we might be able to perceive the elements from which they are constructed individually and divide the enigmatic image into intelligible parts. This involves us in a continual clash between overall perception and a need for interpretation that fastens on one detail after another; and this clash, in turn, is the source of that unique mood produced by any confrontation with a Max Ernst image - elements that are intelligible in isolation become ambivalent on the level of composition and communication.

This discussion of his materials and their processing enables us to define the categories that determined what could enter his imagery and, by the same token, the criteria according to which certain materials were excluded from use in collage. After all, the principles governing the choice and employment of material also define the artist's rejection of an unlimited range of combinations of information in collage, what Theodor Adorno once called its 'bad boundlessness'. It was Ernst's refusal to accept information at random that led to the recognizability of his collages as his own. His resistance to a world captured in visual media was the basis for his style. For style is not merely a technical category, but all ethical one. As Joe Bousquet once put it: For all of the liberties he helped us conceive of, for every notion he discredited, Max Ernst paid the highest price. His life withstood continual tension between a creative furore that nothing could contain and an extremely rigorous method based on almost incredible demands.

Werner SPIES, introduction à Max Ernst: A Retrospective :

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Stuart NOLAN. « The Enduring Significance of the Work of Max Ernst » , 1 October, 1998 :