mardi 26 juillet 2011

ANDRÉ BRETON. Patinage Dada





Patinage Dada

Nous lisons les journaux comme les autres mortels. Sans vouloir attrister personne, il est permis de dire que le mot DADA se prête facilement aux calembours. C'est même un peu pourquoi nous l'avons adopté. Nous ne savons pas le moyen de traiter sé rieusement un sujet quelconque, à plus forte raison ce cujet : nous. Tout ce qu'on écrit sur DADA est donc pour nous plaire. Il n'est pas fait-divers pour lequel nous ne donnerions toute la critique d'art. Enfin la presse de guerre ne nous a pas empêchés de tenir le maréchal Foch pour un fumiste et le président Wilson pour un idiot.

Nous ne demandons pas mieux que d'être jugés sur nos apparences. On raconte partout que je porte des lunettes. Si je vous avouais pourquoi, vous ne me croiriez jamais. C'est en souvenir d'un exemple de grammaire : “ Les nez ont été faits pour porter des lunettes ; aussi j'ai des lunettes. „ Comment dites-vous ? Ah oui, cela ne nous rajeunit pas.

Pierre est un homme. Mais il n'y a pas de vérité DADA. On n'a qu'à prononcer une phrase pour que la phrase contraire devienne DADA. J'ai vu Tristan Tzara sans voix pour commander une boîte de cigarettes dans un bureau de tabac. Je ne suis pas ce qu'il y avait. J'entends encore Philippe Soupault eéclamer avec insistance des oiseaux vivants chez les marchands de couleurs. Moi-même, en cet instant, je rêve peut-être.

Une hostie rouge, après tout, vaut une hostie blanche. DADA ne promet pas de vous faire aller au ciel. A priori, dans les domaines de la littérature et de la peinture, il serait ridicule d'attendre in chef-d'œuvre DADA. Nous ne croyons non plus, naturellement, à la possibilité d'aucune amélioration sociale, si nous haïssons par-dessus tout le conservatisme et nous déclarons partisans de toute révolution, quelque qu'elle soit. “ La paix à tout prix „ c'était le mot d'ordre de DADA en temps de guerre comme en temps de paix le mot d'ordre de DADA c'est “ La guerre à tout prix. „

La contradiction n'est encore qu'une apparence, et sans doute la plus flatteuse. Je ne me connais pas la moindre ambition : il vous semble pourtant que je m'anime : comment l'idée que mon flanc droit est l'ombre de mon flanc gauche, et inversement, ne me rend-elle pas tout-à-fait incapable de bouger ? Au sens le plus général du mot, nous passons pour des poètes parce qu'avant tout nous attaquons au langage qui est la pire convention. On peut très bien connaître le mot Bonjour et dire Adieu à la femme qu'om retrove après un an d'absence.

DADA vous combat avec votre propre raisonnement. Si nous vous réduisons à prétendre qu'il est plus advantageux de croir que de ne pas croire ce qu'enseignent toutes les religions de beauté, d'amour, de vérité et de justice, c'est que vous ne craignez pas de vous mettre à la merci de DADA, en acceptant une rencontre avec nous sur le terrain que nous avons choisi, qui est le doute.

André BRETON. « Patinage Dada », Littérature, no13, « Vingt-trois Manifestes DADA », mai 1920