Il en va des images surréalistes comme de ces images de l’opium que l’homme n’évoque plus, mais qui « s’offrent à lui, spontanément, despotiquement. Il ne peut pas les congédier ; car la volonté n’a plus de force et ne gouverne plus les facultés. » Reste à savoir si l’on a jamais « évoqué » les images. Si l’on s’en tient, comme je le fais, à la définition de Reverdy, il ne semble pas possible de rapprocher volontairement ce qu’il appelle « deux réalités distantes ». Le rapprochement se fait ou ne se fait pas, voilà tout. Je nie, pour ma part, de la façon la plus formelle, que chez Reverdy des images telles que :
Dans le ruisseau il y a une chanson qui coule
ou :
Le jour s’est déplié comme une nappe blanche
ou :
Le monde rentre dans un sac
offrent le moindre degré de préméditation. Il est faux, selon moi, de prétendre que « l’esprit a saisi les rapports » des deux réalités en présence. Il n’a, pour commencer, rien saisi consciemment. C’est du rapprochement en quelque sorte fortuit des deux termes qu’a jailli une lumière particulière, lumière de l’image, à laquelle nous nous montrons infiniment sensibles. La valeur de l’image dépend de la beauté de l’étincelle obtenue ; elle est, par conséquent, fonction de la différence de potentiel entre les deux conducteurs. Lorsque cette différence existe à peine comme dans la comparaison, l’étincelle ne se produit pas. Or il n’est pas, à mon sens, au pouvoir de l’homme de concerter le rapprochement de deux réalités si distantes. Le principe d’association des idées, tel qu’il nous apparaît, s’y oppose. Ou bien faudrait-il en revenir à un art elliptique, que Reverdy condamne comme moi. Force est donc bien d’admettre que les deux termes de l’image ne sont pas déduits l’un de l’autre par l’esprit en vue de l’étincelle à produire, qu’ils sont les produits simultanés de l’activité que j’appelle surréaliste, la raison se bornant à constater, et a apprécier le phénomène lumineux.
Et de même que la longueur de l’étincelle gagne à ce que celle-ci se produise à travers des gaz raréfiés, l’atmosphère surréaliste créée par l’écriture mécanique, que j’ai tenu à mettre à la portée de tous, se prête particulièrement à la production des plus belles images. On peut même dire que les images apparaissent, dans cette course vertigineuse, comme les seuls guidons de l’esprit. L’esprit se convainc peu à peu de la réalité suprême de ces images. Se bornant d’abord à les subir, il s’aperçoit bientôt qu’elles flattent sa raison, augmentent d’autant sa connaissance. Il prend conscience des étendues illimitées où se manifestent ses désirs, où le pour et le contre se réduisent sans cesse, où son obscurité ne le trahit pas. Il va, porté par ces images qui le ravissent, qui lui laissent à peine le temps de souffler sur le feu de ses doigts. C’est la plus belle des nuits, la nuit des éclairs : le jour, auprès d’elle, est la nuit.
André BRETON, Manifeste du Surréalisme, 1924
Monika Steinhauser et Aude Virey-Wallon . « «La lumière de l'image». La notion d'image chez les surréalistes ». Revue de l'Art, 1996, n°114. pp. 68-80:
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rvart_0035-1326_1996_num_114_1_348298
Monika Steinhauser et Aude Virey-Wallon . « «La lumière de l'image». La notion d'image chez les surréalistes ». Revue de l'Art, 1996, n°114. pp. 68-80:
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rvart_0035-1326_1996_num_114_1_348298