Les myriapodes philosophiques ont cassé des jambes de bois ou de métal, et même
des ailes, entre les stations Vérité-Réalité. Il y avait toujours quelque chose
d'insaisissable : LA VIE.
Chercher de remplacer la vie par un plaisir privé : aventure parfois amusante.
(Les aventures sans remords qui s'introduisent en art par ses moyens, pour le
détruire lentement, réveillent la cendre dans le noyau, intérêts réciproques,
insinuations et obstacles systèmemouvement DADA).
Mais donner à une blague la caractère d'éternité et lui préparer l'exclusivité
de la faim, est ridicule, bonjour naïf d'onaniste, musique salutiste, prétention
mélangée, succursale du bourgeois chatouille l'art.
L'anémie ne se propage pas sur le continent, mais tu connais la force, les
microbes, les fleurs, l'alcool, le sang, les inventions, qui répandent leur
pluie — sans but — ou se cassent écho au roc matinal et solide.
Je pense au même besoin d'imposer, — apprenez-moi le ton sérieux qui ne sonne
faux! — et ce sont toujours les autres qui ont raison.
Le besoin de chercher des explications à ce qui n'a pas d'autre raison que
d'être fait, simplement, sans discussions, avec le minimum de critère ou de
critique, ressemble à la self-cleptomanie : changer à perpétuité de poches, à
ses propres objets et dans son propre habit. On s'arrange d'habitude aussi une
collection d'une spécialité morale quelconque, pour la commodité des jugements.
Les hommes sont pauvres parce qu'ils se volent eux-mêmes. Ce n'est pas la
difficulté de comprendre la vie moderne, qui en est cause, mais ils volent des
éléments à leur propre personnalité.
PICABIA.
La parole fertilise le métal : bolide ou roue urubu ouragan ourlé et
ouvert — il laisse dormir ses sentiments dans un garage. Je place un hibou dans
un hexagone — chante en hexamètres — use les angles — crie (à bas) et obuse. La
géométrie est sèche, vieille. J'ai vu jaillir une ligne autrement. Une ligne
jaillie tue les théories, et il n'y a d'autres besoins que l'aventure dans la
vie des lignes. Œuvre personnelle celle qui fait l'absolu. Et vit. S'évade. De
la sève muette. Mécanisme de l'aorte fait plus de bruit que l'ascenseur,
l'engrenage de ses roues est feu, réveil : typographie des premières
sensations, trop simple pour être déchiffrée si vite par les capitaines de la
science.
Mon cher Picabia, « Vivre » sans prétention. Danser sur les dents de fer
télégraphiquement. Ou se taire sur la ligne équinoxiale, pour savoir à chaque
instant — perpetua mobilia — que c'est aujourd'hui.
« Charme » et « jolie » s'appliquent au claire de lune, aux sentiments, aux
tableaux qui chanttent et aux chansons qui voient, se collent aux traditions,
s'infusent parmi les pompiers et parmi les peintres.
Les peintres cubistes et futuristes, qui devraient laisser vibrer leur joie de
la libération d'un extérieur encombrant et futile de l'apparence, deviennent
scientifiques et proposent l'académie. Propagation théorique de charognes,
pompe pour sang. Il y a des paroles qui sont aussi des croix d'honneur. A la
classe des gros mots qui assurent le bonheur de l'humanité, du prestige
prestidigitateurs de prédilections prodigieuses pour le plaisir de ceux qui
payent. Chapitre respect de la soupe.
Les idées empoisonnent la peinture; si le poison parle un nom sonore de gros
ventre philologique, l'art devient contagion, et si l'on se réjouit de cette
intestine musicalité, le mélange devient danger pour les hommes propres et
sobres.
Il n'y a que l'action négative qui soit nécessaire. Picabia a réduit la
peinture à une formation sans problèmes; chacun y trouvera les lignes de sa vie
qui vont avec le temps en chemin de fer et par téléphone sans fil
s'il la regarde sans se demander pourquoiune tasse ressemble à un sentiment.
TRISTAN TZARA