DADALAND
On accuse Dada d'un crime : être allemand. C'est une croisade. Une petite fille ou un petit garçon, aveuglé par sa propre morve reniflée, a lancé la balle en l'air, et les mille imbéciles de la voix publique l'ont ramassée pour la rendre exploisible. Art allemand. Il y a donc un art français ?
Il y a un morceau de terrain qui par sa nature physique suscite un esprit où dominent les caractéristiques dissolvantes océaniques. Ce qui tombe sous la patte de cet esprit devient sa propre peau apparente. Esprit et Art français.
Tous les médailles et décorations de la gloire française sont made in Germany ou made in Italy et autres lieux, et n'ont été dorées qu'en France. Les périodes classiques sont issues de Grèce, d'Italie, de Flandre, d'Arabie, de Chine. La période moderne vient d'Angleterre, de Scandinavie, d'Allemagne et tout récemment d'Afrique, de Polynésie, du Japon et d'Espagne.
Il faut donc considérer que tous les Français sont vendus au reste du monde, et traîtres à leur nourrice ? Heureuse richesse.
Mais qu'on me cite un exemplaire de l'art français autochtone né d'un incorruptible ?
La vertu française est précisément d'absorber sans en mourir un tas de produits différents et de les rendre assemblés avec une odeur telle qu'on ne peut se tromper dans le monde entier sur l'origine de cette synthèse, et qu'on dit de l'Amérique à la Tchéco-Slovaquie : « Comme c'est exquis. Voila le goût français ! ».
Dada n'est pas français. Mais il n'est pas allemand, il n'est d'aucun pays. C'est une maladie vengeresse, un fléau ? Soit. La dorure va s'écailler. La française comme toute autre.
Evidemment, Messieurs, si vous craignez pour la morale de vos femmes, l'éducation de vos enfants, la tranquillité de vos cuisinières et la fidélité de vos maitresses, la solidité de vos fauteuils, de vos pots de chambre et de l'ordre établi, l'organisation de vos maisons de passe et la sûreté de votre Etat, vous avez raison. Mais qu'y faire ? Vous êtes pourris et le feu est allumé.
G. RIBEMONT-DESSAIGNES. « Dadaland », publié dans Cannibale, numéro 2, 25 mai 1920 et dans Dada Almanach, Berlin, juillet 1920
On accuse Dada d'un crime : être allemand. C'est une croisade. Une petite fille ou un petit garçon, aveuglé par sa propre morve reniflée, a lancé la balle en l'air, et les mille imbéciles de la voix publique l'ont ramassée pour la rendre exploisible. Art allemand. Il y a donc un art français ?
Il y a un morceau de terrain qui par sa nature physique suscite un esprit où dominent les caractéristiques dissolvantes océaniques. Ce qui tombe sous la patte de cet esprit devient sa propre peau apparente. Esprit et Art français.
Tous les médailles et décorations de la gloire française sont made in Germany ou made in Italy et autres lieux, et n'ont été dorées qu'en France. Les périodes classiques sont issues de Grèce, d'Italie, de Flandre, d'Arabie, de Chine. La période moderne vient d'Angleterre, de Scandinavie, d'Allemagne et tout récemment d'Afrique, de Polynésie, du Japon et d'Espagne.
Il faut donc considérer que tous les Français sont vendus au reste du monde, et traîtres à leur nourrice ? Heureuse richesse.
Mais qu'on me cite un exemplaire de l'art français autochtone né d'un incorruptible ?
La vertu française est précisément d'absorber sans en mourir un tas de produits différents et de les rendre assemblés avec une odeur telle qu'on ne peut se tromper dans le monde entier sur l'origine de cette synthèse, et qu'on dit de l'Amérique à la Tchéco-Slovaquie : « Comme c'est exquis. Voila le goût français ! ».
Dada n'est pas français. Mais il n'est pas allemand, il n'est d'aucun pays. C'est une maladie vengeresse, un fléau ? Soit. La dorure va s'écailler. La française comme toute autre.
Evidemment, Messieurs, si vous craignez pour la morale de vos femmes, l'éducation de vos enfants, la tranquillité de vos cuisinières et la fidélité de vos maitresses, la solidité de vos fauteuils, de vos pots de chambre et de l'ordre établi, l'organisation de vos maisons de passe et la sûreté de votre Etat, vous avez raison. Mais qu'y faire ? Vous êtes pourris et le feu est allumé.
G. RIBEMONT-DESSAIGNES. « Dadaland », publié dans Cannibale, numéro 2, 25 mai 1920 et dans Dada Almanach, Berlin, juillet 1920