Marcel DUCHAMP. Roue de bicyclette, Roue métallique montée sur un tabouret en bois peint, Neuilly, 1913. hauteur ; 128,5, New York, The Museum of Modern Art
« La Roue de Bicyclette est mon premier readymade, à tel point que ça ne s'appelait même pas un readymade. Voir cette roue tourner était très apaisant, très réconfortant, c'était une ouverture sur autre chose que la vie quotidienne. J'aimais l'idée d'avoir une roue de bicyclette dans mon atelier. J'aimais la regarder comme j'aime regarder le mouvement d'un feu de cheminée. »
Marcel DUCHAMP, cité dans André GERVAIS. « Roue de bicyclette, épitexte, texte et intertextes », Cahiers du MNAM n° 30
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La Roue de bicyclette, premier ready-made réalisé par Marcel Duchamp en 1913, déconcerte d'abord par son caractère surréaliste avant la lettre. Aussi étrange qu'elle paraisse, cette association hétéroclite de deux objets ordinaires qui ne doit plus rien au savoir-faire traditionnel de l'artiste, ne résulte cependant pas d'un choix arbitraire. Sa conception radicale répond à un contexte que dépeint parfaitement une remarque qu'adressa Duchamp au sculpteur Constantin Brancusi alors qu'ils visitaient ensemble, cette même année 1913, le salon de la Locomotion aérienne : « C'est fini la peinture. Qui peut faire mieux que cette hélice ? ». Tout est donc « déjà fait » - ready made - et l'œuvre de Duchamp ne modifie l'objet industriel (la roue) que pour en manifester la perfection esthétique. Car ainsi disposée à l'envers sur un tabouret de dessinateur qui s'apparente à un piédestal fabriqué en série, la roue devient aussi inutile que toute autre sculpture digne de ce nom. Elle n'en conserve pas moins sa spécificité : il est possible de la mettre en mouvement et d'ajouter à sa rotation celle de la fourche pivotant sur son axe. À condition que notre regard y consente, le ready-made se voit élevé au rang de sculpture, éventuellement cinétique, avec une ironie qui n'a cessé depuis de perturber nos conventions culturelles.
Hervé VANEL. « Roue de bicyclette », Encyclopaedia Universalis
Marcel DUCHAMP. Trois stoppages étalon et leurs trois règles à tracer, 1913-1914. Trois fils fixés sur des bandes de toile collées sur verre, rangés dans une boîte de jeu de croquet.
New York, Museum of Modern Art
New York, Museum of Modern Art
Marcel DUCHAMP. Trois stoppages étalon et leurs trois règles à tracer, 1913-1914. Trois fils fixés sur des bandes de toile collées sur verre. New York, Museum of Modern Art
Duchamp répète trois fois l'expérience suivante : il laisse tomber horizontalement un fil de 1m de longueur depuis 1m de hauteur, laissant le fil se déformer à son gré. Il collecte ces trois devenus en les fixant avec du vernis, chacun sur une bande de toile elle-même collée sur une plaque de verre. Puis il reporte ces nouvelles lignes par découpe sur trois mètres ordinaires en bois et range l'ensemble dans une boîte de jeu de croquet.
« Mes trois stoppages-étalon sont donnés par trois expériences, et la forme est un peu différente pour chacune. Je garde la ligne et j'ai un mètre déformé. C'est un mètre en conserve, si vous voulez, c'est du hasard en conserve. » (Marcel DUCHAMP. Entretiens)
Marcel DUCHAMP. Porte-bouteilles, Paris, printemps 1914. Porte-bouteilles en fer galvanisé (environ 64 × 42 cm), choisi en 1914 au Bazar de l'Hôtel de Ville (BHV) de Paris, « sur la base d'une pure indifférence visuelle ». L'artiste n'intervenant que pour choisir et intituler l'objet, celui-ci prend le nom de Porte-bouteilles et plus tard Séchoir à bouteilles ou Hérisson
Marcel DUCHAMP. Peigne, New York, 17 février 1916, 11h00 A. M. Peigne en acier : sur ce peigne sont marquées la date et l'heure à laquelle il choisi ce ready-made
Marcel DUCHAMP. Pliant…de Voyage - Traveler’s folding item, New York, 1916
Marcel DUCHAMP. Readymade aidé (À bruit secret) [With Hidden Noise], New York, Pâques 1916. 12.9 x 13 x 11.4. Philadelphie, The Philadelphia Museum of Art
Marcel DUCHAMP (Richard MUTT). Fontaine, New York, avril 1917, porcelaine, hauteur : 33,5. Photographie d'Alfred STIEGLITZ (The Blind Man)
En 1913 j'eus l'heureuse idée de fixer une roue de bicyclette sur un tabouret de cuisine et de la regarder tourner.
Quelques mois plus tard j'ai acheté une reproduction bon marché d'un paysage de soir d'hiver, que j'appelai « Pharmacie » après y avoir ajouté deux petites touches, l'une rouge et l'autre jaune, sur l'horizon.
À New York en 1915 j'achetai dans une quincaillerie une pelle à neige sur laquelle j'écrivis « En prévision du bras cassé » (In advance of the broken arm).
C'est vers cette époque que le mot « ready-made » me vint à l'esprit pour désigner cette forme de manifestation.
Il est un point que je veux établir très clairement, c'est que le choix de ces ready-mades ne me fut jamais dicté par quelque délectation esthétique. Ce choix était fondé sur une réaction d'indifférence visuelle, assortie au même moment à une absence totale de bon ou de mauvais goût… en fait une anesthésie complète.
Une caractéristique importante : la courte phrase qu'à l'occasion j'inscrivais sur le ready-made.
Cette phrase, au lieu de décrire l'objet comme l'aurait fait un titre, était destinée à emporter l'esprit du spectateur vers d'autres régions plus verbales.
Quelques fois j'ajoutais un détail graphique de présentation : j'appelais cela pour satisfaire mon penchant pour les allitérations, « un ready-made aidé » (ready-made aided).
Une autre fois, voulant souligner l'antinomie fondamentale qui existe entre l'art et les ready-mades, j'imaginais un « ready-made réciproque » (reciprocal ready-made) : se servir d'un Rembrandt comme table à repasser !
Très tôt je me rendis compte du danger qu'il pouvait y avoir à resservir sans discrimination cette forme d'expression et je décidai de limiter la production des ready-mades à un petit nombre chaque année. Je m'avisai à cette époque que, pour le spectateur plus encore que pour l'artiste, l'art est une drogue à accoutumance et je voulais protéger mes ready-mades contre une contamination de ce genre.
Un autre aspect du ready-made est qu'il n'a rien d'unique… La réplique d'un ready-made transmet le même message ; en fait presque tous les ready-mades existant aujourd'hui ne sont pas des originaux au sens reçu du terme.
Une dernière remarque pour conclure ce discours d'égomaniaque :
Comme les tubes de peintures utilisés par l'artiste sont des produits manufacturés et tout faits, nous devons conclure que toutes les toiles du monde sont des ready-mades aidés et des travaux d'assemblage.
Marcel DUCHAMP, « À propos des Ready-mades », discours au Musée d'Art moderne de New York, 1961, dans le cadre de l'exposition Art of assemblage. (Reproduit dans Duchamp du signe, Paris, Flammarion, 1994, pp. 191-192)
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Ce Néo-Dada qui se nomme maintenant nouveau Réalisme, Pop Art, Assemblage, etc., est une distraction à bon marché qui vit de ce que DADA a fait. Lorsque j'ai découvert les reay-made, j'espérais décourager le carnaval d'esthétisme. Mais les néo-dadaïstes utilisent les ready-made pour leur découvrir une valeur esthétique. Je leur ai jeté le porte-bouteilles et l'urinoir à la tête comme une provocation et voilà qu'ils en admirent la beauté esthétique.
Marcel DUCHAMP, « Lettre à Hans RICHTER », le 10 novembre 1962
Marcel DUCHAMP. Porte-chapeau, New York, 1917
Marcel DUCHAMP. Sculpture de voyage, Buenos Aires, 1918, disparue
Marcel DUCHAMP. Sculpture de voyage, Buenos Aires, 1918, disparue
Marcel DUCHAMP et Suzanne DUCHAMP. Ready-made malheureux,
Buenos Aires / Paris, avril 1919
Buenos Aires / Paris, avril 1919
Marcel Duchamp est à Buenos Aires depuis quelques semaines quand une lettre de sa soeur Suzanne lui apprend qu'elle épouse en avril 1919 le peintre Jean Crotti. Ne pouvant faire le voyage, Marcel envoie par courrier ses instructions pour un cadeau de mariage : « C'était un précis de géométrie qu'il lui fallait attacher avec des ficelles sur le balcon de son appartement de la rue de La Condamine; le vent devait compulser le livre, choisir lui-même les problèmes, effeuiller les pages et les déchirer. Suzanne en a fait un petit tableau : Readymade malheureux de Marcel. C'est tout ce qu'il en reste puisque le vent l'a déchiré. Ça m'avait amusé d'introduire l'idée d'heureux et de malheureux dans les readymades, et puis la pluie, le vent, les pages qui volent, c'est amusant comme idée...»
Marcel DUCHAMP. Entretiens
Marcel DUCHAMP. LHOOQ, octobre 1919 (publié dans 391, numéro 12, Paris, 1920)
Marcel DUCHAMP & Francis PICABIA. LHOOQ Tableau Dada par Marcel Duchamp, moustache par Picabia, barbiche par Marcel Duchamp. 1919-1942
Marcel DUCHAMP. Chèque Tzanck, Paris, 3 décembre 1919. Encre sur papier, 21 X 38,
collection particulière
Marcel DUCHAMP. 50cc d'air de Paris, paris, décembre 1919
Marcel DUCHAMP. Fresh Widow, copyright Rrose Sélavy, New York, hiver 1920
Marcel DUCHAMP & Francis PICABIA. LHOOQ Tableau Dada par Marcel Duchamp, moustache par Picabia, barbiche par Marcel Duchamp. 1919-1942
Marcel DUCHAMP. Chèque Tzanck, Paris, 3 décembre 1919. Encre sur papier, 21 X 38,
collection particulière
Marcel DUCHAMP. 50cc d'air de Paris, paris, décembre 1919
Marcel DUCHAMP. Fresh Widow, copyright Rrose Sélavy, New York, hiver 1920
Marcel DUCHAMP. Belle Haleine - Eau de Voilette, Ready-made rectifié, bouteille de parfum avec étiquette, étui en carton, 16,5 X11, New York, avril 1921
Marcel DUCHAMP. Why not sneeze Rrose Sélavy ? New York, juin 1921, 12.4 X 22.2 X 16.2. Ready-made assisté : cage à oiseaux, cubes de marbre, thermomètre et os de seiche National Philadelphie, The Philadelphia Museum of Art
Marcel DUCHAMP. La Bagarre d'Austerlitz, par Rrose Sélavy, Fenêtre miniature : huile sur bois et verre. Paris, novembre 1921, 62.8 X 28.7 X 6.3, Stuttgart, Staatsgalerie
Hector Obalk. The Unfindable Readymade : http://www.toutfait.com/issues/issue_2/Articles/obalk.html
Thomas Girst. (Ab)Using Marcel Duchamp: The Concept of the Readymade in Post-War and Contemporary American Art :