lundi 26 décembre 2011

Max ERNST. « Déclaration » (1er mars 1967)




Que quelques uns des rescapés du fléau Dada se consolent mal du fait que leurs provocations et actes de vandalisme aient subi le triste sort d' « entrer dans l'histoire » après une courte et brillante carrière dans l'euphorie ; que des historiens, escamoteurs de l'esprit Dada, puissent sérieusement proclamer que le mouvement Dada fut par son pouvoir destructeur même un des plus constructifs de notre époque ; que de respectables musées entraînent de respectables équipes à glaner dans les champs de bataille et arènes « culturels »quelques misérables débris de bombes éclatées jadis ; que ces mêmes éclats soient montés en épingle et présentés à un public respectueux comme trésors historiques ou objets de valeur esthétique ; (...) tout cela, et les autres calamités qui menacent de s'abattre sur Dada dès son « entrée dans l'histoire », jamais désirée, jamais recherchée par lui, seront devenues un de ces forfaits qui ne peuvent se produire sans graves falsifications de l'histoire ; tout cela pourrait paraître monstrueux, absurde, grotesque, immoral, si une des fondamentales pensées Dada ne consistait à affirmer que ce n'est que normal, médiocre, moyen, vulgaire et inévitable.


Max ERNST, « Déclaration », publiée dans Le Monde, supplément au no 6884, Paris, 1er mars 1967.