Hans ARP. Dessin automatique. 1916, crayon et encre de Chine sur papier, 42,5 X 61,5, New York, Museum of Modern Art
dada est pour le sans sens ce qui ne signifie pas le non sens.
dada est sans sens comme la nature.
dada est pour la nature et contre l'« art ».
dada est direct comme la nature et cherche à donner à chaque chose sa place essentielle.
dada est pour le sens infini et les moyens définis.
Hans (Jean) ARP, Jours Effeuillés, 1931
Hans (Jean) ARP, Rectangles arrangés selon les lois du hasard, 1916. Collage de papiers colorés sur carton, 33,2 X 25,9, New York, Museum of Modern Art
L'art est un fruit qui pousse dans l'homme, comme un fruit sur une plante ou l'enfant dans le sein de sa mère. Mais, tandis que le fruit de la plante, le fruit de l'animal, le fruit dans le sein de sa mère, prend des formes autonomes et naturelles, l'art, le fruit spirituel de l'homme, fait preuve la plupart du temps d'une ressemblance ridicule avec l'aspect d'autre chose. Ce n'est qu'à notre époque que la sculpture et la peinture se sont libérées de l'aspect d'une mandoline, d'un président en habit, d'une bataille, d'un paysage. J'aime la nature, non ses succédanés. L'art naturaliste, illusionniste, est un succédané de la nature.
Nous ne voulons pas copier la nature. Nous ne voulons pas reproduire, nous voulons produire.
Nous voulons produire comme une plante qui produit un fruit et ne pas reproduire. Nous voulons produire directement et non par truchement. Comme il n'y a pas la moindre trace d'abstraction dans cet art nous le nommons : art concret.
Hans (Jean) ARP, Jours Effeuillés, 1931
***
Je voulais trouver un autre ordre, une autre valeur de l'homme dans la nature. Il ne devait plus être la mesure de toute chose, ni tout rapporter à sa mesure, mais au contraire toutes choses et l'homme devaient être comme la nature, sans mesure. Je voulais créer de nouvelles apparences, extraire de l'homme de nouvelles formes.
Hans (Jean) ARP, Jours Effeuillés, 1931
Hans ARP. La Mise au tombeau des oiseaux et paillons - Tête de Tristan Tzara. 1916-1917, Relief en bois peint, 40 X 32,5 X 9,5, Zurich, Kunsthaus
cher monsieur brzekowski
vous me demandez ce que je pense de la peinture de la sculpture et particulièrement du néoplasticisme et du surréalisme.
pour répondre à cette question je suis obligé de commencer par dada que tzara et moi avons accouché avec grande joie. dada est le fond de tout art. dada est pour le sans sens ce qui ne signifie pas le non-sens. dada est sans sens comme la nature. dada est pour la nature et contre l' "art". dada est direct comme la nature et cherche à donner à chaque chose sa place essentielle. dada est pour le sens infini et les moyens définis.
la vie est le but de l'art. l'art peut mécomprendre ses moyens et ne faire que mirer la vie au lieu de la créer. alors les moyens sont illusionnistes descriptifs académiques. j'ai exposé avec les surréalistes parce que leur attitude révoltée envers l' « art » et leur attitude directe envers la vie était sage comme dada. dans les derniers temps les peintres surréalistes ont employé des moyens illusionnistes descriptifs académiques ce qui ferait beaucoup plaisir à rops.
le néoplasticisme est direct mais exclusivement visuel. il lui manque le rapport des autres facultés humaines.
mais finalement je trouve que l'homme n'est ni un parasol ni un para-la-si-do ni un paramount car il se compose de deux cylindres carnivores dont l'un dit blanc quand l'autre dit noir.
agréez monsieur mes citrons empressés
Hans Arp
Hans (Jean) ARP, « CHER MONSIEUR BRZEKOWSKI », 1927
Hans ARP. Forêt. Formes terrestres, 1916, Relief de bis peint, 32,7 X 19,7 X 7,6,
Washington, National Gallery of Art
QUELQUES LIGNES DE PLOTIN
Pour ceux parmi les hommes dont l'âme a dépassé celle des mille-pattes, des araignées, des poux, des limaces, des mouches, des sangsues, des banquiers, des politiciens, et qui veulent s'approcher de la beauté et de la lumière je cite ces quelques lignes de Plotin :
« Il faut d'abord rendre l'organe de la vision analogue et semblable à l'objet qu'il doit contempler. Jamais l'oeil n'eût aperçu le soleil, s'il n'avait d'abord pris la forme du soleil ; de même l'âme ne saurait voir la beauté, si d'abord elle ne devenait belle elle-même, et tout homme doit commencer par se rendre beau et divin pour obtenir la vue du beau et de la divinité. »
Hans (Jean) ARP, « Quelques lignes de Potin », vers 1930
Hans (Jean) ARP. Les Larmes d'Énak (Formes terrestres). Relief de bois peint, assemblage dada, 1917, 86 X 59 x6, New York, Museun of Modern Art
DE PLUS EN PLUS JE M´ÉLOIGNAIS DE L´ESTHÉTIQUE
De plus en plus je m´éloignais de l´esthétique. Je voulais trouver un autre ordre, une autre valeur de l´homme dans la nature. Il ne devait plus être la mesure de toute chose, mais au contraire toutes choses et l´homme devaient être comme la nature, sans mesure. Je voulais créer de nouvelles apparences, extraire de l´homme de nouvelles formes. Ceci se précisa en 1917 dans mes « objets ». A leur sujet Alexandre Partens écrivit dans l´Almanach Dada :
De plus en plus je m´éloignais de l´esthétique. Je voulais trouver un autre ordre, une autre valeur de l´homme dans la nature. Il ne devait plus être la mesure de toute chose, mais au contraire toutes choses et l´homme devaient être comme la nature, sans mesure. Je voulais créer de nouvelles apparences, extraire de l´homme de nouvelles formes. Ceci se précisa en 1917 dans mes « objets ». A leur sujet Alexandre Partens écrivit dans l´Almanach Dada :
« Ce fut le mérite de Jean Arp d'avoir découvert à partir d´un certain moment le véritable problème dans le métier même. Ceci lui permettait de le nourrir d´une imagination nouvelle et spirituelle. Il ne s´agissait plus pour lui d´améliorer, de préciser, de spécifier un système esthétique. Il voulait la production immédiate et directe comme une pierre se détachant d´un rocher, comme un bourgeon qui éclate, comme un animal qui se reproduit. Il voulait des objets imprégnés de fantaisie et non des pièces de musée, des objets animalesques aux intensités et aux couleurs sauvages, il voulait un nouveau corps parmi nous qui se suffît à lui-même, un objet dont la place est aussi bien d´être accroupi sur les coins des tables, que niché au fond du jardin ou nous fixant du mur… Le cadre et plus tard le socle lui semblaient être des béquilles inutiles… »
Dans mon enfance déjà le socle qui permet à une sculpture de se tenir debout, le cadre qui enferme le tableau comme une fenêtre, furent pour moi des motifs de gaieté, de plaisanteries et m´incitèrent à maintes espiègleries. Un jour j´essayai de peindre sur la vitre un ciel bleu sous les maisons que j´apercevais à travers la fenêtre. Ces maisons semblèrent ainsi reposer dans l´air. Parfois je sortais nos tableaux des cadres et regardais avec plaisir ces fenêtres accrochées au mur. Une autre fois je fixais un cadre dans une petite cabane en bois et sciais une ouverture derrière ce cadre. On apercevait alors un paysage charmant animé d´hommes et de bestiaux. J´invitais mon père à donner son avis sur l´œuvre que je venais d´achever. Il me regarda étrangement et avec une légère surprise. – Comme enfant, je pris plaisir aussi à me percher sur le socle d´une sculpture écroulée et d´y mimer l´attitude d´une nymphe pudique.
Voici quelques dénominations de mes objets dadaïstes : Tête d´Adam, Virgule articulante, Perroquet Imitant Le Tonnerre, Montagne au Plastron De Glace, Meuble Épelant, La Planche A Œufs, La Bouteille À Nombril. La fragilité de la vie et des œuvres humaines se convertissait chez les dadaïstes en humour noir. A peine une construction, un édifice, un monument est-il terminé que déjà commence sa décrépitude, sa désagrégation, sa décomposition, son émiettement. Les pyramides, les temples, les cathédrales, les tableaux de maîtres en sont des documents convaincants. Et le bourdonnement de l´homme ne dure pas bien plus longtemps que le bourdonnement de cette mouche qui vole avec tant de zèle autour de mon baba au rhum.
Dada voulait détruire les supercheries raisonnables des hommes et retrouver l´ordre naturel et déraisonnable. Dada voulait remplacer le non-sens logique des hommes d´aujourd´hui par le sans-sens logique. C´est pourquoi nous frappions à tour de bras sur la grosse caisse dadaïste et trompettions les louanges de la déraison. Dada a donné un clystère à la Vénus de Milo et a permis à Laocoon et ses fils de se soulager, après des milliers d´années de lutte avec le bon saucisson Python. Les philosophies ont moins de valeur pour Dada qu´une vieille brosse à dents hors d´usage, et il les laisse pour compte aux grands meneurs du monde. Dada dénonce les ruses infernales du vocabulaire officiel de la sagesse. Dada est pour le sans-sens ce qui ne signifie pas le non-sens. Dada est un sens comme la nature. Dada est pour la nature et contre l´art. Dada est direct comme la nature. Dada est pour le sens infini et les moyens définis.
Hans (Jean) ARP, On my way, 1948
L´homme se comporte comme s´il avait créé le monde et comme s´il pouvait jouer avec lui. Presque au début de son glorieux développement il forgea cette phrase que l´homme est la mesure de toute chose. Là-dessus il se mit rapidement au travail, et renversa tout ce qu´il put dans le monde pour le mettre sens dessus dessous. La Vénus de Milo gît en morceaux sur le sol. Avec la mesure de toute chose, avec lui-même, il donné la mesure de la démesure. Il a taillé dans la beauté, et cet outrecuidant tailleur a gâché son ouvrage. De grand tailleur il est devenu confectionneur, et le magasin de confection est devenu une présentation des modèles de la folie. Désordre, confusion, inquiétude, non-sens, démence, mélancolie, démonomanie dominent le monde. Fœtus bicéphales et géométriques, corps humains à tête de champignon jaune, bâtards à forme d´éventail pourvu de trompe, estomacs qui ont des dents, yeux sans maître, gigantesques souris distinguées montées sur des béquilles, pyramides engraissées ou amaigries traînant les pieds et dont les yeux humains sont larmoyants, mottes de terre sexuées, et ainsi de suite, ainsi de suite sont nés sur la toile ou dans la pierre.
Hans (Jean) ARP, On my way, 1948